Crois-tu qu’on peut changer le monde ?

samedi 17 mai 2014
par  Neimad
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Les moines du Moyen Age asséchaient les marais pour rendre leur environnement habitable, cultiver la terre et bâtir des maisons. A la manière de ces hommes, certains se demandent comment améliorer la vie des autres et de la société toute entière. A l’heure de la mondialisation, de Fukushima et du réchauffement planétaire, l’avenir de l’humanité se confond avec l’avenir de la Terre. Comment pouvons-nos changer les choses, améliorer notre façon de vivre ensemble et réaliser nos rêves dans une société vieillissante ?

Cet article s’adresse non seulement à ceux qui rêvent et à ceux qui veulent agir, mais également à ceux qui demandent quels modes d’action utiliser et dans quelle mesure la société, le monde, la réalité est prête à se plier à nos volontés ? [1]

Pour cela, nous avons listé les différents moyens possibles de changer le monde, en les traitant, non pas comme des outils à utiliser, mais comme des croyances sur notre potentiel d’action sur le monde qui peuvent correspondre ou non à la réalité. Vraies ou fausses, nous espérons, chers lecteurs, que nos analyses puissent vous donner des idées pour agir ou des conseils utiles pour éviter certains écueils…



 Les moyens spirituels


La prière et les pouvoirs de l’au-delà


Certains croient qu’on l’on peut faire un pacte avec le monde, que la volonté possède une action efficace, que la prière peut être entendue. D’autres croient dans des forces invisibles, qu’ils appellent anges et démons dans la religion chrétienne, génies dans la religion musulmane, etc. Quelques-uns ont vu des formes spectrales qu’ils appellent fantômes, beaucoup ont entendu parler de ces apparitions et croient dans la vie après la mort et dans le pouvoir intercesseur de leurs ancêtres dans le cours de leur vie, soit qu’ils provoquent des événements, soit qu’ils leur soufflent des conseils « d’esprit à esprit ». Enfin, il s’agit rarement de Dieu lui-même, entité abstraite et toute-puissante.

Malgré leur diversité, les moyens spirituels ont ceci en commun qu’ils attribuent une importance au cœur, à la croyance, à la position de l’être par rapport au monde existant et aux forces qui l’animent. Il s’agit d’une philosophie primitive, où les allégories prennent vie et les concepts collent avec le réel. Celui qui pratique la prière ou les invocations se croit regardé, aidé, protégé ou menacé, entravé et maudit. Il oublie souvent qu’il n’est pas seul et que des millions de personne prient tous les jours pour le succès au travail, en amour et une meilleure santé. Ils sont peut-être aussi nombreux à souhaiter gagner au Loto…


La pensée positive (AT, PNL… )


Version athée de la prière, méthode Coué améliorée, la pensée positive utilise les outils de la psychologie cognitive et des techniques de visualisation d’origine indienne pour développer la confiance en soi, diminuer les peurs, gérer les conflits et améliorer les relations interpersonnelles. Elle agit sur soi grâce aux moyens de son esprit, par des procédures parfaitement identifiées. On exagère parfois ses possibilités et ses résultats. Le cerveau se donne à la fois pour médecin et pour malade. La personne s’auto-hypnose et finit par changer. Elle finit également par se convaincre que ses problèmes sont résolus.

Ainsi, la phobie peut être traitée de manière efficace par le biais de la thérapie cognitive, mais le déséquilibre intérieur à l’origine de cette phobie n’est pas traitée et pourra se reporter ailleurs. Cela a toutefois l’avantage d’aider la personne à vivre. De même, un homme qui manque de courage avec les femmes peut se « reprogrammer » et devenir le pire des machos. Il se sera conformé à un modèle de comportement qu’il estime préférable à celui d’être seul et timide. Il aura sans doute l’impression d’avoir évoluer…


 Les moyens symboliques


Je suis un exemple pour le monde


Les bouddhistes et de nombreuses personnes pensent qu’en s’améliorant soi-même, on peut changer le monde. En devenant meilleur, on change l’image que l’on donne de soi, on change son rapport aux autres. Non seulement notre représentation du monde évolue, mais les rencontres et les événements s’enchaînent de manière positive, car le monde dans lequel nous vivons n’est qu’une représentation de notre esprit, selon les bouddhistes et les hindouistes. Schopenhauer a très bien traduit cette pensée dans le monde occidental dans son livre : Le Monde comme Volonté et comme représentation publié en 1819, qui était lui-même inspiré des textes indiens. Le défaut de cette croyance est de faire porter l’ensemble des événements sur cette seule représentation du monde. Comment expliquer dans ce cas, que Schopenhauer ait eu si peu de succès à son époque ? Que les bouddhistes aient subi l’invasion du Tibet, jusqu’au point de s’immoler ? Si l’on suivait leur logique, ce qui leur arrive serait entièrement leur faute ou le poids de leur karma. Dans ce cas, il faut croire que tous les habitants d’un pays envahi ou que toutes les victimes d’un crash d’avion partagent le même karma…


Le sacrifice et le bouc-émissaire

En associant les succès aux qualités des individus et en imputant les malheurs qui arrivent à d’autres aux défauts inhérents de ces personnes (à leur faiblesse physique, à leur manque d’intelligence, à leur mauvais choix, à leur manque de confiance en eux…), on aboutit à classer les individus en deux catégories : les forts et les faibles, les bons et les méchants, ceux qui sont doués et ceux qui travaillent, ceux qui ont de la chance et ceux qui n’en ont pas, ceux qui ont de bons gènes et ceux qui ont une tare…

Appliqué à individu, ce mode de de pensée aboutit à s’auto-flageller pour ses mauvaises pensées, voire à s’automutiler physiquement. Elargi au niveau d’un village, d’un pays, cela aboutit à l’histoire du bouc-émissaire : le bouc chargé de tous les maux de la communauté et chassé de la cité ou mis à mort. Les Juifs ont souvent ce rôle dans l’Histoire. Cette croyance est liée à la notion de culpabilité, de responsabilité non assumée.

Concernant la crise économique en Europe, on accusera indifféremment les Juifs, les banquiers, les Francs-maçons, l’Allemagne, la Grèce, l’Europe, les Etats-Unis, la Chine, les exilés fiscaux, les émigrés, les chômeurs, les riches, les politiciens, ceux qui votent à gauche, ceux qui votent à droite, etc. On aboutit rapidement à une théorie du complot, d’autant plus efficace sur les esprits faibles qu’elle ne peut être clairement nommée et donc clairement critiquée. La théorie du complot a cependant l’avantage d’apporter un axe de lecture unique pour un monde où les choix politiques, économiques et sociaux ne sont plus assumées par les chefs politiques mais reportés sur des entités abstraites comme « la crise, la dette, l’Europe, les agences de notation, les flux financiers, les investisseurs… ». On revient ainsi à l’idée du bouc-émissaire. De fait, les théories du complot - car elles sont nécessairement légions - devraient continuer à se développer ces prochaines années si rien ne change.


 Les moyens physiques


Les bonnes actions et l’écologie


Certains pensent agir sur le monde par une série de « bonnes actions » qui formeraient, par petites touches apportées au tableau, un monde meilleur pour tout-un-chacun. Cet idéal du « mieux vivre ensemble », axé sur des gestes de citoyenneté comme aider la mamie à traverser au feu et ramasser les crottes de son chien sur le trottoir, a pris un caractère d’urgence depuis que nous avons pris conscience des impacts de l’homme sur le climat et des conséquences désastreuses de la pollution sur la santé. Cette conscience écologique a tout l’air d’une conscience planétaire, pour laquelle la disparition d’une espèce animale est tout aussi dommageable pour nous, êtres humains, que si l’on nous apprenait la mort d’un cousin. Autrefois, les hommes s’inquiétaient de la disparition de leur lignée et de leur nom, aujourd’hui, ils s’inquiètent de la disparition des lignées des autres espèces, au sens phylogénique du terme.

A la différence de l’urgence sociale, qui ne concerne que les hommes, l’urgence écologique donne à l’homme la pleine responsabilité de ce qui arrive à la planète, au nom des générations futures qui n’existent pas encore. Ce surcroît de responsabilité peut être difficile à assumer et peut aboutir, par surcroît de culpabilité, à l’idée de bouc-émissaire expliqué plus haut. L’homme, pour le coup, peut paraître le coupable idéal, le prédateur n°1 et le parasite par excellence de cette planète. Dans cette logique, il faut l’empêcher de nuire, même si cela implique de violer la notion de propriété privée, d’arracher des plants de maïs transgénique et de détruire des installations polluantes. Certains auteurs de science-fiction [2], comme certains journalistes [3], ont même parlé d’« écoterrorisme » pour accuser les actions « coup de poing » de Greenpeace et autres associations écologistes.


Le terrorisme et les coups d’Etat


Le terme de « terrorisme » étant souvent utilisé ces dernières années pour discréditer toute forme de résistance politique [4], il faut se méfier de cette expression. L’écologie n’est pas un problème en soi, mais la doctrine du « développement durable » semble difficile à mettre en place dans une société capitaliste. Dès lors, les actions écologistes, réalisées au nom du bien commun, risquent à un moment de se retrouver face à une impasse : sauver la planète implique de changer de modèle économique et de donner de nouvelles priorités à la société, autrement dit : changer le monde.

Les plus radicaux penseront aux moyens armés, à la révolution, au coup d’Etat. Le monde serait ainsi « obligé » de changer. L’Histoire a montré que les changements apportés, s’ils ne font pas avec les élites des populations sont soumises par exemple, en respectant l’organisation sociale ou les valeurs essentielles de ces peuples, finissent par se faire par opposition à ces peuples, à produire une série d’actions, consommatrices de temps et d’énergie, qui ne visent qu’à maintenir le système en place et la position des nouveaux chefs. Si cela ne dégénère pas en guerre civile, cela finit par disparaître avec la mort de ces chefs [5]. Ce type d’action est-il stérile pour autant ? Pas tout à fait, car le changement de société pourra profiter à d’autres…

Ainsi, les révolutions du printemps arabes ont souvent profité aux partis islamiques, de même que la Révolution française a permis à la bourgeoisie de prendre le pouvoir et d’instaurer un système libéral. La violence initiale n’a pourtant pas été totalement « digérée » : les gens continuent de descendre dans la rue en Egypte. Elle peut même se retrouvée « intégrée » dans le nouveau système politique : par exemple, la Révolution française, portés par des idéaux de liberté et de fraternité, est devenue la période de la Terreur [6].


 Les moyens humains


L’engagement associatif et le bénévolat


Les bénévoles sont très nombreux en France, ils répondent à des besoins qui ne sont pas pourvus par le marché (car non rentables) ou par l’Etat (par manque de moyens), comme par exemple l’entraide sociale, la création de spectacles, les banques alimentaires… Il ne s’agit pas seulement de retraités et d’étudiants, mais aussi de lycéens et de personnes animées par une passion qui se sont réunies en association. Les associations dont nous parlons ne doivent pas être confondues avec le statut associatif qui est une forme juridique choisie par certaines organisations (les clubs sportifs, les centres de formation…) et qui sont, eux, rentables et parfaitement intégrés à l’économie de marché.

Créer une association, c’est s’engager dans un acte citoyen, c’est croire que l’on peut changer le monde par son action. Faire du bénévolat, c’est participer à ce rêve, donner un peu de soi pour une passion commune, une idée partagée, un autre en souffrance, etc. On donne de son temps, de son argent, on prêt ses compétences (dans les S.E.L.), on crée des échanges, des réseaux sociaux qui n’ont rien de virtuels. Petit à petit, cela change le monde, ou au moins la vie de ceux qui y participent.


Les réseaux professionnels, les collectifs et les sectes

Il peut être tentant de s’inscrire dans un groupe pour démultiplier sa puissance d’action sur le monde, même sans en être le chef, simplement en se laissant influencer pour influence d’autres personnes, en aliénant une part de sa volonté pour suivre la volonté du groupe, devenir les yeux, les bras ou les jambes d’un Titan. Par groupe, nous entendons les réseaux professionnels (clubs, think tanks…), aussi bien que les collectifs créés autour d’une cause à défendre (contre un aéroport ou pour la construction d’un puits en Afrique subsaharienne…) ou des mouvements sectaires (depuis qu’on parle d’elles, beaucoup de sectes se sont reconverties vers le bien-être ou le développement de la personnalité…). Dans tous les cas, l’individu perdu dans la masse subit les lois de la dynamique de groupe [7]. Il n’est donc plus libre au sens de Nietzsche ou de Gurdjieff.

Ce qu’il faut penser, avant de s’inscrire dans un groupe ou de créer soi-même un groupe de ce type, c’est que l’ambiance initiale, sa mission première, risque de changer pour garder la cohésion du groupe et qu’il faudra choisir alors entre rester dans le groupe, ce qui signifie changer en même temps que lui, et sortir du groupe pour rester fidèle à sa mission première et aux raisons pour lesquelles on s’était engagé par le passé. Prenons l’exemple de la chrétienté : l’Eglise d’aujourd’hui est différente de l’Eglise de l’Inquisition et de l’Eglise du temps des premiers martyrs. Différents schismes, retour aux racines de l’Eglise et de l’Ancien Testament, sont venus souligner d’une certaine façon la dynamique des groupes appliquée à la religion. D’une certaine façon, l’Islam, venue sept siècles après le christianisme, est plus proche de la religion juive que le catholicisme, le protestantisme et l’orthodoxie, qui auront eu sept siècles de plus pour se transformer.


 Les moyens matériels


Le prêt, le don et l’investissement solidaire


Peut-on aider autrui en l’aidant matériellement et financièrement ? Peut-on améliorer la société en investissant dans des entreprises d’insertion (qui embauchent des personnes au RSA), dans des sart-up de jeunes plein d’idées ou dans des entreprises vertes ? Peut-on changer le monde avec l’argent, les fondations, les héritages, le troc ou des systèmes comme le viager ?

La première question à se poser est de savoir si l’on veut utiliser le système monétaire ou un autre système (troc, monnaies virtuelles…). La deuxième question est de savoir si l’on veut recevoir quelque chose en échange (bénéfice, retour de l’argent prêté, remerciement, contre-don…). Enfin, on ne peut donner ou prêter que ce que l’on a, au sens où cette méthode ne crée pas de valeurs par elle-même mais par le mouvement de valeurs qu’elle engendre et la façon dont les personnes bénéficiaires vont les faire fructifier. De fait, on ne change pas de système, on l’utilise, on le réoriente. La question est de savoir si le système-monde qui est place possède suffisamment de ressources pour se changer lui-même, à partir de lui-même.


Les vertus du libéralisme


Les tenants du libéralisme croient que la solution est de laisser l’offre et la demande s’autoréguler. On aboutirait ainsi au « juste prix » des produits et de services, mais aussi au « juste prix » des salariés (l’offre est le nombre de chômeurs, la demande le besoin de main d’œuvre). Ce système politique et économique, basé sur la libre-entreprise et la place de l’Etat réduite aux fonctions régaliennes (la police, la justice et l’armée), devrait réussir s’équilibrer de lui-même, au bénéfice du plus grand nombre, si l’on empêche la mise en place d’ententes illégales sur les prix et la création de monopole. On voit déjà apparaître des conditions, qui sont autant de failles. Ajoutons que le système peut s’équilibrer aussi par des crashs boursiers, des famines et des déplacements de population. Peu importe si on sauve le système économique en place.

Les entreprises privées et parfois publiques participent de ce système. Le but premier d’une entreprise, sa définition en économie, est de faire du profit. Evidemment, le caractère du chef d’entreprise peut donner une orientation autre à son entreprise, lui donner des valeurs, une éthique, mais l’entreprise pourra être vendue, rachetée, son personnel licencié, y compris son gérant, son dirigeant, car il faut bien distinguer cette entité commerciale, l’entreprise, de son créateur, un peu comme un fils et son père. Le fils, un jour, peut quitter son giron familial, il peut même s’opposer à lui et renier les valeurs paternelles. Ainsi, la création d’entreprise, tout en étant une réalisation positive et un élément d’épanouissement personnel, ne permet un contrôle suffisant sur son devenir. De manière plus générale, les entreprises ne sont pas des outils fiables pour transformer le monde car ils peuvent échapper au contrôle de leur dirigeant. En effet, les choix d’un chef d’entreprise dépendent autant de sa stratégie commerciale que de l’état du marché et de la concurrence. L’entreprise obéit donc autant au chef d’entreprise qu’on fonctionnement capitaliste et plus ou moins libéral de la société.

Evidemment, on pourra répondre qu’un chiffre d’affaires important donne les moyens financiers ou matériels d’agir dans la société, d’influencer la vie des salariés et d’un pays, voire d’un continent… Dans ce cas, nous retombons sur les questions que nous avons soulevées dans la partie précédente (cf. « Le prêt, le don et l’investissement solidaire »).


 Les moyens politico-médiatiques


« Faire pression » ou les pouvoirs du lobbying


Les hommes politiques, les journalistes et les leaders d’opinion peuvent-ils influencer durablement le monde ? Si oui, cette influence est-elle positive ? Chaque personne, à son niveau, conseille son entourage, le plus souvent pour son bien, avec des résultats mitigés, les solutions qui sont bonnes pour soi n’étant pas toujours bonnes pour les autres. De même, les sociétés de lobbying qui cherchent à influencer les avis du Conseil économique et social européen et en définitive les décisions adoptées par l’UE n’agissent pas pour le bien de tous mais pour d’un point de vue particulier, qui se veut le plus éclairé possible. Dès lors, comment ne pas confondre les intérêts qui sont les siens avec les conclusions de son expertise ? Un laboratoire financé par Monsanto peut-il se permettre de critiquer la société productrice d’OGM ?

La condition d’une action efficace serait donc de ne pas faire partie du système, de ne pas avoir étudié les OGM et peut-être même de n’en avoir jamais entendu parler. Cela revient à l’idéal d’un système de valeurs abstrait, en dehors des contingences matérielles et des individus, où les politiciens seraient tirés au sort parmi les citoyens comme en Grèce antique, où les règles du jeu seraient testés à l’aveugle comme dans la Théorie de la Justice de James Rawls [8]. On peut avoir des doutes sur les capacités de jugement d’une personne qui ne connaîtraient pas les bases de la génétique, les tests en laboratoire sur le maïs transgénique, les enjeux économiques des OGM [9] et les avis des agriculteurs et les conséquences sur la santé des populations exposées au Roundup.


Changer la société de l’intérieur

Devenir maire, puis, pourquoi pas, député, président de communauté de communes, de pays ou de Région, puis accepter un poste de ministre, se présenter aux élections présidentielles… Ce cheminement trouve des équivalents à l’intérieur des grandes entreprises, des grandes associations ou de n’importe quelle autre organisation de taille suffisante pour devenir un monde en soi. La question qui se pose est de savoir si l’on peut changer cet univers de l’intérieur, en étant n°1 ou n°2, le conseiller dans l’ombre ? Les études sur la vie des singes en société a montré que les singes dominants sont stressés par la peur de perdre leur position face à des singes plus jeunes et plus revendicatifs, ce qui arrive fatalement un jour. La position la plus enviable est celle du n°2, qui a tout a espéré. Le n°2 finit par devenir n°1 et perd son bien-être, etc.

Les singes dominants n’ont certes pas l’intention de changer la vie des singes et de transformer la forêt comme des Robinson Crusoé du règne animal. Non, la comparaison visait seulement à montrer que celui qui veut changer la société de l’intérieur doit tout d’abord adhérer au système existant, comprendre suffisamment bien les règles pour pouvoir en jouer et évoluer… Le pouvoir qu’il finit par acquérir dépend de sa position au sommet de la pyramide. Détruire cette pyramide revient à détruire son pouvoir. Sa capacité de transformation du système est donc limitée, il risque même de vouloir le consolider pour s’assurer une position durable, sous prétexte d’avoir besoin de temps pour changer la position en profondeur : c’est le discours de tous les hommes politiques qui souhaitent se faire réélire et des Présidents à vie d’Amérique du Sud.

Un Président de la République française, par exemple, qui souhaiterait changer la Constitution en donnant un pouvoir élargi au Parlement serait obligé de se saborder, à moins de reporter l’application de cette nouvelle mesure aux prochaines élections…

Régime présidentielle ou régime parlementaire, le système politique global, celui de la République et de ses lois, reste globalement le même. Le changement de Constitution, qui peut sembler révolutionnaire, demande certes un courage politique pour ceux qui le promeuvent et le mettent en place, mais ne change pas fondamentalement la société : les rapports entre les personnes, les différences entre riches et pauvres, etc. Il ne s’agit pas seulement d’une action trop large pour avor une incidence au niveau local, ou d’une action trop profonde pour avoir des effets pratiques sur le court terme : il s’agit d’une réorganisation du système existant en fonction des règles que le système se donne.

Dès lors, une question se pose : quelle est la souplesse de ce système, sa capacité à évoluer et à faire évoluer la société avec elle ? Il faut admettre que la démocratie existe depuis plusieurs centaines d’années en Europe, malgré des crises politiques et économiques graves. Ce système s’est peu à peu étendu dans le reste du monde. La démocratie est sans nul doute un système très souple, mais aussi très critiqué. Il faut croire que nous devons faire avec ses avantages (l’alternance politique, le choix de la politique) et ses défauts (le populisme, l’arrivée au pouvoir de partis non-démocratiques…) pour changer le monde. La démocratie existant depuis 1789 en France et depuis plus longtemps en Grèce, nous devons nous attendre à voir réapparaître des cas de figures déjà étudiés par les Historiens. Changer la société en se basant que le système politique en place reviendrait à choisir laquelle de ces figures l’on souhaiterait faire revivre.

Ces réflexions s’appliquent également à d’autres systèmes existants.


 Les moyens des autres


L’attente du Messie


Nous avons déjà parlé de la place du leader dans un groupe. Qu’en est-il du cas de figure où le leader est absent et attendu, comme celui du Messie chez les Juifs ? Dans notre société contemporaine, cela reviendrait à attendre l’arrivée d’un homme providentielle (ou d’une femme) pour changer la face du monde. Cela sous-entend que la place actuelle est vacante ou qu’elle est usurpée. Le « Messie » viendrait ainsi bouleverser le monde actuel, ne serait-ce que parce qu’il revendiquerait une place dans un système qui fonctionnait (très bien) sans lui. L’arrivée du « Messie » permettre de rebattre les cartes entre les puissants et les faibles, entre les privilégiés et la multitude, etc. Un nouveau système de valeur pourrait être mis en place. Si cela n’était pas le cas, le « Messie » ne serait pas considéré comme tel, ce serait un « faux Messie » et il resterait toujours un espoir pour le changement…

Dans la liste des moyens d’action, l’attente du « Messie » peut être comprise de deux façons : du point de vue de celui qui attend et du point de vue du « Messie » lui-même, qui vient pour revendiquer sa couronne, reconnaître ses sujets et gagner un peuple.

Dans les deux cas, nous nous retrouvons dans un système dual avec le « Messie » d’un côté et le peuple de l’autre, comme dans la dialectique du Maître et du Serviteur du philosophe Hegel. Les deux sont interdépendants, c’est-à-dire qu’ils dépendent de l’autre pour lui reconnaître sa place et exister. Si les rôles sont investis, tout devient possible, le monde pourra se transformer, prendre de nouvelles directions. Mais ce système hiérarchique institue un déséquilibre, donc une dialectique. Tout l’art de Hegel a été d’analyser ces changements progressifs qui amènent le Serviteur à influencer les décisions du Maître, jusqu’à finir par prendre sa place, comme dans les Saturnales romaines ou dans L’Ile aux esclaves de Marivaux.

Ainsi, l’attente du « Messie » est l’attente d’une nouvelle dialectique, d’un nouveau cycle si l’on croit aux cycles économiques ou à l’ère du Verseau.


Le cours de l’Histoire


Peut-on rester les bras croisés devant le mouvement de l’Histoire et se dire que le changement viendra de lui-même, quand ce sera le moment ? Peut-on désespérer à ce point de son action sur le monde pour croire que le monde évoluera de la même façon que l’on existe ou que l’on n’existe pas ? Nos actions, à défaut d’avoir des pouvoirs immenses, à nécessairement des actions à long terme, sur plusieurs générations, voire même des actions à court terme, si l’on prend en compte la théorie du chaos (« les battements d’ailes d’un papillon peut provoquer une tempête à l’autre bout de la planète »…).

On opposera à cette croyance aux lois statistiques utilisées en psychologie, en sociologie, en épidémiologie, etc. Si l’action individuelle est imprévisible, « chaotique », le mouvement d’ensemble, l’évolution globale des gènes d’une espèce par exemple, répond à règles, à des lois de la physique et est potentiellement prédictible. C’est aussi ce qu’envisage l’écrivain Isaac Asimov avec l’invention la « psychohistoire » [10]. C’est ce qu’affirment aussi les biologistes comme Stephen Jay Gould concernant la génétique des populations [11]. Ainsi, la portée d’une action individuelle se dissoudrait dans les grands mouvements, dans les grandes révolutions qui signent une époque. Elle ne pourrait pas l’empêcher, elle pourra au mieux la ralentir ou l’accélérer.

A moins que… Supposons que nous puissions revenir dans le temps. Poul Anderson a envisagé les différentes éventualités (ce que nous serions tenté de faire, qui nous en empêcherait, comment corriger les erreurs, etc.) au travers d’une série de récits réunis sous l’intitulé La Patrouille du temps. La théorie qui est exposée est celle d’une nature plastique du continuum spatio-temporel : certains événements, certaines dates, certaines périodes en certains lieux sont particulièrement importantes ou particulièrement complexes et il est très délicat d’intervenir à cette époque sans changer le cours de l’Histoire. A l’inverse, à d’autres périodes de l’Histoire, les actions n’auront pas de conséquences graves, elles pourront être corrigés ou intégrées à l’Histoire sans danger pour le cours général. Par exemple, la mort d’un individu n’entraînerait nécessairement la disparition de toute sa descendance, car les gènes qui le constituent pourraient être trouvées chez d’autres individus. Ce qui compte dans ce cas, comme pour la statistique, c’est le génome présent dans l’espèce humaine, les multiples possibilités données par nos interactions, et non la vie ou la mort d’un individu sans importance (du point de vue des livres d’Histoire).

Aux moments où l’Histoire semble s’accélérer, dans une révolution ou dans une guerre, par exemple, l’individu, reviendrait sur le devant de la scène. Dans une société en proie au chaos, où les institutions s’effondrent, les hommes peuvent en effet mourir ou réussir à changer la face du monde. On peut citer Hitler, mais aussi Lénine, Napoléon, Alexandre le Grand… En réalité, leurs actions ne sont possibles que dans une société qui les accueille, en sorte que leurs actions, aussi incroyables qu’elles puissent paraître, sont toujours bornées par les possibilités d’action de la société où ils vivent. On peut dire qu’ils catalysent non seulement les espoirs et les haines de leur époque, mais aussi qu’ils révèlent à leur civilisation ce qu’elle contenait en elle de force et de violence… Le philosophe Hegel appelait cela « la ruse de l’Histoire ».

Attendre que l’Histoire fasse son travail, c’est refuser le rôle que l’Histoire pourrait nous donner pour se cantonner au rôle d’observateur ou de « Serviteur ». Si l’on choisit au contraire l’action dans ce monde, il faut savoir rester humble, car nous connaissons nos actions, mais nous connaissons rarement les raisons qui nous poussent à agir et nous ne maîtrisons pas la portée et les conséquences de nos actes dans le temps et dans l’espace.



 CONCLUSION


Nous avons que les différents moyens d’action que nous proposent la nature, la société des hommes ou le monde, pour faire large, répondent chacun des logiques différentes, à des mécanismes parfois fragiles. Les moyens humains, matériels et politico-médiatiques semblent limités dans leurs effets, tandis que la violence et les coups d’Etat sont à éviter, car ils précipitent le monde dans le chaos et que le chaos est part nature imprévisible. Les "moyens symboliques" et les "moyens des autres" sont le plus souvent utilisés par les groupes, mais ils ne semblent pas concerner les individus eux-mêmes [12]. Les moyens spirituels seraient intéressants s’ils étaient prouvés.

Ces moyens n’ont pas seulement leurs "avantages" et leurs "défauts", car celui qui choisit tel ou tel moyen d’action ne les choisit pas librement mais en fonction de ses propres atouts et faiblesses. Dans certains cas, nous avons demandé au lecteur de se poser certaines questions avant d’agir, afin d’orienter son choix et de partir sur telle ou telle action en toute connaissance de cause (sur ses motivations profondes, sur les résultats qu’il veut obtenir…). Ainsi, nos actions sur le monde peuvent être améliorées en améliorant notre connaissance de soi. En augmentant notre capacité à agir sur le monde qui nous entoure de manière efficace, en fonction de nos propres atouts, on acquiert une plus grande confiance dans la possibilité d’agir sur le monde.

Celui qui veut agir sur le monde ne devrait pas seulement avoir confiance en lui, il devrait également avoir confiance dans le monde, dans la société, dans la démocratie, dans la science, dans l’écologie, dans la parole de Dieu, dans la réalité, etc. Car c’est le monde lui-même qui offre cette possibilité de changement et qui change, inévitablement. Mais le « monde » est un concept un peu flou pour y placer sa confiance. En quoi ou en qui avoir confiance ? Que croire ? Certains appellent cela Dieu, la Vie, le Destin, d’autres font mention de leur bonne étoile, d’un ange gardien, du progrès de la science ou de la civilisation, des vertus de la démocratie, de la nature de l’homme… Au fond, c’est une autre question… Une question de foi.


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Ce monde est à nous, changeons-le !


[1] Ce questionnement rejoint les questions philosophiques essentielles : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Qu’est-ce que l’homme ? Selon Kant, les questions s’emboîte les unes dans les autres et la plus importante est la dernière. Connais-toi toi-même, disait déjà l’un des préceptes gravés à l’entrée du temple d’Apollon à Delphes… Qui suis-je ? demandaient déjà les Védas il y 2000 ans.

[2] Dans son roman « State of Fear », Mickaël Crichton, l’auteur de Jurassik Park, accuse les écologistes de mensonge vis-à-vis du réchauffement planétaire.

[3] Voir https://www.lesaffaires.com/secteur…

[4] Il suffit de réécouter le discours de Khadafi lors de ses dernières heures, mais on peut aussi citer la Corée du Nord, la Chine et de nombreux autres pays démocratiques.

[5] puisque le système mis en place ne visait qu’à les maintenir au pouvoir.

[6] La succession Monarchie - République – Restauration – Empire correspond un peu près aux trois modes de gouvernement exposés par Platon : l’aristocratie appelle son opposé, la démocratie, la démocratie sombre en oligarchie (les plus riches, la classe des propriétaires), l’oligarchie devient aristocratie (les plus riches deviennent les plus puissants et s’accaparent le pouvoir), etc.

[7] Le Que sais-je ? de Jean Maisonneuve, daté de 1968, reste une bonne initiation. Voir aussi notre article : Comment échapper à la dynamique de groupe ?

[8] James Rawls (1921-2002), Théorie de la Justice, 1971.

[9] Améliorer les rendements, permettre à des plantes de pousser dans des conditions difficiles dans les pays du Tiers-monde, produire des médicaments dans le lait produit par des vaches transgéniques, créer de nouvelles espèces, breveter le vivant…

[10] Les mathématiques seraient capable de prédire l’évolution de l’humanité, et plus cette humanité s’étendra, plus ses prédictions se feront précises…

[11] Plus le nombre d’individus dans un groupe est élevé, par exemple dans un groupe de dinosaures, et plus les mutations s’accélèrent…

[12] Par là-même, les groupes ne sont pas "moraux" au sens de Kant, on ne peut pas attendre d’eux une morale, car la morale implique l’individu et non le groupe. En effet, selon Kant, la condition de possibilité d’une action morale est de considérer l’homme comme une fin en soi. Or, la logique du "groupe" implique nécessairement de considérer les individus comme des "moyens". Par contre, les choix des individus à la tête de ces groupes peut-être morale. Ainsi, l’existence d’un ou de plusieurs chefs parfaitement connus et identifiés est une condition nécessaire pour qu’un groupe agisse en fonction de la morale, pour le bien des individus et du groupe dans son ensemble. A contrario, des décisions prises par des groupes anonymes comme les "actionnaires" d’une société ou la "commission" européenne, ne reposent jamais sur une morale. Leurs choix sont a-moraux, mais ils peuvent reposer sur d’autres principes, sur le droit du travail ou sur des plans d’action entérinés par le Parlement européen par exemple.


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