Manifeste des économistes atterrés

jeudi 17 mars 2011
par  Neimad
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Après le succès du manifeste de Stéphane Hessel, "Indignez-vous !", c’est au tour des économistes de publier un livre petit format, d’une soixantaine de pages, à l’attention des politiques et des citoyens : le Manifeste d’économiste atterrés (ed. Les Liens qui Libèrent, Mayenne, 2010).

Ce manifeste, signé par 630 économistes, a le mérite de proposer des solutions pour chaque problème soulevé, comme cela est indiqué par son sous-titre : "Crise et dettes en Europe : 10 fausses évidences, 22 mesures en débat pour sortir de l’impasse."

Selon le texte placé en introduction, "Les économistes doivent assumer leurs responsabilités vis-à-vis de la société. La plupart des "experts" qui interviennent dans le débat public le font pour justifier l’actuelle soumission des politiques économiques aux exigences des marchés financiers" (p. 8).

Ce que les "experts" ne remettent pas en cause, ce sont les préjugés suivants que tâcheront de démonter les auteurs de ce manifeste :


1 - Les marchés financiers sont efficients : à l’inverse du processus régulateur de l’offre et de la demande, les marchés financiers favorisent la hausse des prix (promesse de rendement accru, promesse de bonus pour les traders).

Pour contrer cela, on peut limiter les activités financières (et en particulier celle des banques) et/ou les bonus des traders.


2 - Les marchés financiers sont favorables à la croissance économique : "aujourd’hui, globalement, ce sont les entreprises qui financent les actionnaires au lieu du contraire" (p. 17). Le retour sur investissement [1]) demandé aux entreprises placées en bourse est fréquemment de 15 à 25%.

Les mesures proposées : renforcer les contre-pouvoirs dans l’entreprise, imposer les très hauts revenus, développer une politique publique du crédit.


3 - Les marchés sont de bons juges de la solvabilité des Etats : "l’évaluation financière n’est pas neutre, elle affecte l’objet mesuré, elle engage et construit le futur qu’elle imagine" (p. 22), à la manière d’un sondage d’opinion.

Les solutions proposées  : réglementer l’activité des agences de notation, garantir la solvabilité des Etats par le rachat des titres publics par la Banque Centrale Européenne.


4 - L’envolée des dettes publiques résulte d’un excès de dépenses : "La dette publique (…) provient largement non pas d’une tendance à la hausse des dépenses publiques - puisqu’au contraire, celles-ci, en proportion du PIB, sont stables ou en baisse dans l’Union européenne depuis le début des années 1990 - mais de l’effritement des dépenses publiques, du fait de la faiblesse de la croissance économique sur la période, et de la contre-révolution fiscale menée par la plupart des gouvernements depuis vingt-cinq ans." (p. 26).

Question posée par le manifeste : quelle est l’identité des détenteurs de titres de la dette et pour quels montants ? Pour rappel, la France perd chaque année 40 milliards dans le remboursement des intérêts de la dette, "presque autant que les recettes de l’impôt sur le revenu" (p. 34).


5 - Il faut réduire les dépenses pour réduire la dette publique : "Ce qu’oublient évidemment les partisans de l’ajustement structurel européen, c’est que les pays européens ont pour principaux clients et concurrents les autres pays européens (…). Une réduction simultanée et massive des dépenses pubiques de l’ensemble des pays de l’Union ne peut avoir pour effet qu’une récession aggravée et donc un nouvel alourdissement de la dette publique." (p. 30).

Propositions  : maintenir ou améliorer le niveau des protections sociales pour développer la consommation des ménages ; accroître les dépenses publiques dans l’éducation, la recherche, la reconversion écologique… qui sont autant d’investissements à long terme.


6 - La dette publique reporte le prix de nos excès sur nos petits-enfants : le manifeste d’écrit ce qu’il appelle l’effet jackpot : "avec l’argent économisé sur leurs impôts, les riches ou pu acquérir des titres (porteurs d’intérêts) de la dette publique émise pour financer les déficits publics provoqués par les réductions d’impôts." (p. 34).

Mesures proposées : suppression des niches fiscales ; augmentation du taux d’impôt sur le revenu pour redistribuer la richesse ; supprimer les exonérations consenties aux entreprises quand il n’y a pas d’effet sur l’emploi.


7 - Il faut rassurer les marchés financiers pour pouvoir financer la dette publique : "depuis Maastricht, les banques centrales ont interdiction de financer directement les Etats, qui doivent trouver prêteurs sur les marchés financiers. Cette "répression monétaire" accompagne la "libération financière" et prend l’exact contrepied des politiques adoptées après la grande crise des années 1930, de "répression financière" (…).

Propositions du manifeste : autoriser la BCE à financer les Etats ; restructurer la dette publique.


8 - L’Union européenne défend le modèle social européen : "l’Europe aurait dû se donner l’objectif de promouvoir le modèle social européen (…). Cependant, l’Europe n’a pas voulu assumer sa spécificité (…). la liberté de circulation des capitaux a été accordée aux investisseurs du monde entier, soumettant le tissu productif européen aux contraintes de valorisation des capitaux internationaux. La construction européenne apparaît comme un moyen d’imposer aux peuples des réformes néolibérales" (pp. 41-43). De quelle manière ? En privant "les pays de toute autonomie en matière de politique monétaire comme en matière budgétaire" (p. 43), tandis que "les différences de situation entre les pays ne sont pas prises en compte" (p. 43).

Un mouvement de résistance permit de faire échec à la directive Bolkenstein fut un échec, et "la plupart des pays s’opposaient à l’européanisation de leurs politiques fiscales ou sociales".

Solutions éventuelles : permettre aux pays de l’UE de négocier des accords multilatéraux ou unilatéraux ; fixer de Grandes orientations de politique sociale (GOPS).


9 - L’Euro est un bouclier contre la crise : " La zone euro aurait dû être moins touchée que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni par la crise financière (…). Mais la zone euro souffrait d’un creusement des déséquilibres : les pays du Nord (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, pays scandinaves) bridaient leurs salaires et leurs demandes internes et accumulaient des excédents extérieurs, alors que les pays de la périphérie (Espagne, Grèce, Irlande) connaissaient une croissance vigoureuse impulsée par des taux d’intérêt faibles relativement aux taux de croissance, tout en accumulant des déficits extérieurs." (p. 49).

Mesures proposées : réduire les déséquilibres entre les pays [2] ; organiser des prêts entre pays européens ; établir un régime monétaire intra-européen de type bancor  [3].


10 - La crise grecque a enfin permis d’avancer vers un gouvernement économique et une vraie solidarité européenne : "les spéculateurs ont perçu les failles de l’organisation de la zone euro. (…) les pays de la zone euro dépendent totalement des marchés financiers pour financer leurs déficits. Du coup, la spéculation a pu se déclencher sur les pays les plus fragiles de la zone : Grèce, Espagne, Irlande (…). Toutefois, en mai 2010, la BCE et les pays membres ont dû créer dans l’urgence un Fonds de stabilisation pour indiquer aux marché qu’ils apporteraient ce soutien sans limite aux pays menacés." Mais "Sous pression du FMI et de la Commission européenne, la Grèce doit privatiser ses services publics et l’Espagne flexibiliser son marché du travail. Même la France et l’Allemagne (…) ont annoncé des mesures restrictives." (pp. 53-54).

Les risques sont les suivants : "La diminution des dépenses publiques va compromettre l’effort nécessaire à l’échelle européenne pour soutenir les dépenses d’avenir (…) Les recettes fiscales vont chuter. Aussi, les soldes publics ne seront guère améliorés, les ratios de dette seront dégradés, les marchés ne seront pas rassurés (…). Le risque d’enclencher une dynamique de repli sur soi généralisé est réel" (pp. 56-57).

Les propositions : "les pays excédentaires du Nord et du centre de l’Europe doivent mener des politiques expansionnistes - hausse des salaires, dépenses sociales… - pour compenser les politiques déficitaires des pays du Sud" (p.55) ; mettre en place une fiscalité européenne autour de la taxe carbone et de l’impôt sur les bénéfices par exemple ; lancer un plan européen pour la reconversion écologique par souscription auprès du public ou par création monétaire de la BCE.


Pour que "la refondation de l’Union européenne" (p. 59) puisse voir le jour, il n’est pas nécessaire que tous les pays donnent leur accord. Il suffirait de quelques pays, comme c’était le cas à l’époque de la CEE.


Ce résumé ne donne qu’une vision partielle du manifeste. Je ne peux donc que vous conseiller de vous le procurer et de le lire avant les prochaines élections. Quelques heures suffiront pour vous forger une opinion.


[1] ROE : Return Of Equity

[2] Note personnelle : lors de leur entrée dans la CEE, la Grèce, l’Espagne et le Portugal ont bénéficier des fonds d’ajustement européens, mais ce qui était possible dans une Europe à 12 ne l’est plus vraiment dans une Europe à 27.

[3] Proposé par Keynes, cette monnaie vise à réétablir la convertibilité de la monnaie en or, définitivement supprimée lors des accords de Bretton Woods en 1944. Les monnaies étaient seulement convertibles en dollar, mais le dollar était encore convertible en or jusqu’en 1971, date à laquelle Nixon supprima la référence à l’étalon or. Désireux de protéger leurs monnaies, le "Groupe des Dix" - la CEE, la Suède, les États-Unis, le Canada et le Japon - décida d’abandonner la référence au dollar et de pratiquer des "changes flottants" à partir de 1973. Ce système, qui ne repose que sur lui-même, est encore en vigueur aujourd’hui.


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