Alexandre Mikhaïlovitch Korotkov (« Sacha ») est une des étoiles, méconnues en Occident, du renseignement soviétique. Agent illégal en France dans les années trente, il est affecté à Berlin comme vice-résident, sous couverture diplomatique, en 1940. Même si Staline en doute, on sait dans les organes que la guerre avec l’Allemagne nazie n’est, pour Moscou, qu’une question de mois. Et Korotkov, pour la préparer, a beaucoup à faire : il doit notamment mettre sur pied des réseaux solides à Berlin. Or, depuis 1938, le contact a été perdu entre Moscou et ses principaux agents locaux.
Dès son arrivée dans la capitale du Reich, le jeune officier multiplie les messages de mise en garde sur la préparation des hostilités par les nazis. Mais, bien entendu, aucun de ces télégrammes ne modifiera la position du « guide suprême ». Surtout, le 17 septembre 1940, il arrive à opérer un premier contact avec Arvid Harnack, l’un des « Berlinois » du NKVD. Il apprend que Harnack, recruté depuis quelques années, n’a pas chômé pendant les deux ans durant lesquels il a été coupé de Moscou. Il est maintenant en contact avec une mouvance informelle au sein de laquelle se retrouvent intellectuels, industriels et militaires antinazis.
Sa source principale est un jeune officier de renseignements de la Luftwaffe, Harro Schulze-Boysen. Dès mars 1941, Korotkov lui enjoint de construire son propre réseau et d’en faire une structure autonome et cloisonnée, indépendante du réseau principal de Harnack. Harro SchulzeBoysen et sa femme, Libertas, acceptent. Ce qui ne les empêche pas de mêler, à l’effroi des Russes, activités de renseignement et résistance. Que ce soit par les sources de Harnack ou de de Schulze-Boysen ou par les nombreux amants de Libertas (le couple mène une vie très libre), Korotkov amasse les renseignements qui continuent à le persuader que la guerre est inévitable. En vain.
Lorsque débute l’opération BARBAROSSA, en juin 1941, l’ambassade soviétique est étroitement gardée par les SS dans l’attente de l’échange de son personnel contre celui de la chancellerie allemande à Moscou. Mais Berechkov, l’un des officiers de la Résidence, qui sera un jour l’interprète de Staline, a acheté le chef du détachement SS. Un jour où les deux hommes déjeunent, l’Allemand terme les yeux sur une escapade de Korotkov censé aller " faire ses adieux à une petite amie ’’·
Deux heures durant, au cœur de Berlin, alors que les masses des « Panzers » déferlent sur les plaines de l’URSS, le numéro deux du renseignement soviétique à Berlin pourra tenir une dernière réunion avec les chefs de ses réseaux. Il leur annonce, entre autres, qu’ils seront désormais rattachés, pour leurs communications, avec une autre structure installée, elle, à Paris et Bruxelles. Ce que les Allemands appelleront un jour l’Orchestre rouge est désormais en place. Après la guerre, Korotkov sera affecté à la direction des « Illégaux » puis, en 1957, désigné comme résident à Berlin-Est.
Il mourra stupidement, en 1961, d’un infarctus, durant une partie de tennis avec Ivan Serov, l’un des chefs du KGB puis du GRU.