Les formes du Vivant : ADN ou consciences de forme

samedi 29 janvier 2011
par  syagrius
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La vie est la complexité même. De la bactérie à la baleine, les organismes se développent par le jeu des interactions compliquées d’un grand nombre de composants différents. Ces composants, ou sous-systèmes, sont eux-mêmes constitués d’éléments plus petits dont le comportement dynamique est autonome et spécifique.


Bien que les chercheurs soient conscients de cette étrange particularité, ils n’en ont pas assez tenu compte dans leurs explications des principes fondamentaux de la vie. Au cours des dernières décennies, des biologistes ont exploré le fonctionnement du corps humain en caractérisant les propriétés des matériaux et des molécules essentielles de la vie, notamment l’ADN, matériau de base des gènes. Ils s’efforcent aujourd’hui d’identifier chaque élément de l’ensemble complet, le génome, spécifique de tout être humain. Les gènes spécifient la nature des protéines, les molécules clés de la vie ; aussi la connaissance prochaine du génome, Saint Graal de la biologie moléculaire, permettra-t-elle aux biologistes de constituer un catalogue presque complet des molécules d’un être humain. Toutefois, la structure des diverses parties d’une machine complexe, cellule ou moteur à explosion, n’explique pas le fonctionnement du tout. Aussi, identifier et décrire les pièces du puzzle moléculaire n’est que d’une aide minime pour la compréhension des lois régissant l’assemblage.

La nature fait appel à des règles d’assemblage simples illustrées par l’existence - à l’échelle moléculaire comme à l’échelle macroscopique - de motifs tels que spirales, pentagones et formes triangulaires. Ces motifs apparaissent dans les structures cristallines les plus régulières et dans les protéines les plus contournées, dans des organismes aussi différents que les virus, le plancton et l’être humain. Est-ce si étonnant ? Les matières organiques et minérales sont formées des mêmes éléments constitutifs : des atomes de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote et de phosphore ; la seule différence tient au mode d’assemblage des atomes dans l’espace.

Cet article offre la synthèse de trois textes sur le sujet, qui présentent chacun un aspect de la question.

Première partie : D’Arcy Thompson, la forme et le vivant, de Maddalena Mazzocut-Mis, in Alliage, numéro 22, 1995. Maddalena Mazzocut-Mis est professeur d’Esthétique à l’Université de Milan.

Deuxième partie : L’architecture de la vie, de Donald Ingber, in Pour la Science, n°245, mars 1998. Donald Ingber est professeur de pathologie à l’Université Harvard. Il est le fondateur de la Société Molecular Geodésics Inc. qui conçoit des matériaux nouveaux dont les propriétés sont inspirées des structures biologiques.

Troisième partie : Vie des formes et formes de vie, par Vahé Zartarian, sur co-creation.net, 1997. Vahé Zartarian est ancien élève de l’École polytechnique et auteur de nombreux livres sur le sujet.



  PREMIERE PARTIE : D’Arcy Thompson, la forme et le vivant (extraits)

Les travaux menés par d’Arcy Thompson sur la forme et le vivant ont caractérisé le concept de forme. D’un côté, la forme est limite, contour, visibilité d’une surface, aspect mouvant et varié ; de l’autre, c’est la manière dont les parties s’harmonisent dans leur ensemble, coexistent et se structurent. La forme peut être considérée dans son aspect sensible ou être conçue comme idée formelle, impliquant un modèle, un dessin, un type. Quand elle individualise un organisme vivant, la forme est conçue comme structure mobile, comme phénomène changeant et complexe. Cependant, la forme peut aussi être interprétée comme le résultat de l’action de lois physico-chimiques conçues mécaniquement et être ramenée à des déterminations géométriques. Inconnaissable dans sa nature intime, mais identifiable clairement comme effet d’une cause cachée, la forme est définie comme le simple résultat de forces. La morphologie, donc, emprunte sa méthodologie, quoique de façon sélective, à d’autres domaines de recherche.

Ce qui précède est un résumé, la position de D’Arcy Thompson qui, en utilisant un procédé spécial, fournit une identification mathématique et visuelle précise des formes du vivant. Par l’analyse des diverses formes de carapaces des crabes, qui peuvent toutes être ramenées à des déformations successives des coordonnées, initialement orthogonales, d’une seule image ; des formes du squelette des quadrupèdes, qui peuvent être interprétées sur la base de lois de la construction régissant aussi la statique des ponts ; des formes crâniennes de divers animaux, D’Arcy Thompson développe l’idée d’après laquelle la nature s’accroît, se déforme sur la base d’un modèle fort précis. Il existe un logos sous-jacent aux phénomènes, qui ne peut en aucune façon être violé. Les formes de la nature deviennent des objets de la mathématique, étudiés et visualisés avec les instruments classiques de l’analyse géométrique. Ce n’est donc pas un hasard s’il reprend à Kant l’idée que " le critère de toute vraie science réside dans l’importance des liens qui l’unissent aux mathématiques ".


 Méthode mathématico-physique

Pour D’Arcy Thompson, la méthode mathématico-physique et la " précision numérique " représentent " vraiment l’âme de la science " et constituent " le meilleur critère, peut-être même le seul, de la validité d’une théorie et de la fiabilité d’une expérience ".

D’après D’Arcy Thompson les lois de la physique devraient donner la possibilité d’expliquer les phénomènes de régulation et de régénération qui se déroulent dans les organismes, sans recours à des causes finales. Le physicien doit laisser de côté les principes du finalisme, sans pourtant méconnaître que " mécanisme et téléologie sont aussi étroitement imbriqués que la chaîne et la trame d’un tissu ".

Un organisme doit être représenté comme une fonction, au sens mathématique, des parties qui le composent, fonction reliée à l’organisation spatiale et temporelle des parties, à la manière précise dont elles interagissent. Cohérence, efficacité mécanique, réductibilité au simple géométrique, tels sont les points fondamentaux du système de D’Arcy Thompson. Le problème de la stabilité de la structure des êtres vivants, problème essentiel de la biologie, est abordé sur la base de ces principes.

La comparaison entre l’oeuvre de la nature et le travail de l’ingénieur est un indice de l’utilisation, par D’Arcy Thompson, de la notion même d’analogie, surtout dans le contexte de la découverte scientifique. En effet, bien que son idéal soit la précision numérique, on peut toutefois constater que le point de départ de sa méthodologie morphologique est l’observation phénoménologique des analogies cachées sous le visible. La recherche structurale des causes prend l’aspect d’une recherche de principes généraux simples, qui justifient des similitudes essentielles. En utilisant l’analogie, le spécialiste des problèmes morphologiques peut observer si deux formes, apparemment différentes mais isomorphes, peuvent être considérées comme le résultat de transformations mutuelles. Les énigmes de la forme sont alors traduites en relations visibles entre des formes affines et deviennent compréhensibles par l’évidence immédiate de leurs rapports. D’après D’Arcy Thompson, il faut développer la recherche analogique.

" Depuis toujours, le nombre des chercheurs en quête des différences et oppositions fondamentales entre les phénomènes organiques et inorganiques, de ce qui sépare l’animé de l’inanimé, a dépassé de loin ceux dont l’attention était plutôt retenue par la recherche de principes communs ou de similitudes essentielles. "

Comment ne pas se rappeler alors les analogies existant entre la forme des squelettes de certains radiolaires et la géométrie des lames de savon, entre la tête du fémur et le mécanisme d’une grue, comme entre la dent d’un castor, la défense d’un éléphant, une boucle de cheveux, un flocon de laine, la trompe d’un éléphant enroulée, les anneaux des serpents, les tentacules d’une seiche, la queue d’un singe ou d’un caméléon et la spirale logarithmique… D’après D’Arcy Thompson, chaque système tend à suivre des lois économiques, ou principes "d’extrémalité ou d’optimalité", qui sont l’explication d’un logos, d’une économie de la nature. Largeault écrit : " On est plus près du logos ou d’un a priori ontologique de la forme quand on sait décrire des êtres physiques par des conditions d’extrémalité. ". même si on verra par la suite que la nature n’use pas forcement du principe d’economie

Le " génie géométrique de la nature " - pouvons-nous dire avec Huyghe - " produit le cube, le tétraèdre, l’octaèdre, et même le dodécaèdre et l’icosaèdre, que le cristal ne pouvait produire parfaitement réguliers, du fait qu’ils impliquent alors des nombres irrationnels. à nouveau, les plus savantes fantaisies mathématiques semblent sortir du néant. On peut penser que de telles variations, soumises en apparence aux rigueurs du calcul, ont proposé un mystère excitant pour l’esprit scientifique. La perfection esthétique y rejoint la complexité de la structure en une double magie. […] Plusieurs thèmes géométriques de la nature inanimée se maintiennent donc dans cette vie qui s’ébauche et prend son élan vers ses destinées propres. "

Selon la vision de D’Arcy Thompson, la forme du vivant ne représente plus un écart par rapport à la forme inanimée. Toutes deux sont régies par les mêmes lois. Le vivant ne peut plus se targuer de posséder un statut spécial, il doit être expliqué par des lois susceptibles d’être mathématisées .

En fait, comme le remarquait déjà Gould, on peut voir chez Thompson le continuateur d’un idéal grec déjà enraciné dans la pensée de Pythagore et de Platon, même s’il n’accepte " ni la doctrine de Pythagore d’après laquelle "les choses sont des nombres", ni la vision de Platon d’un royaume de nombres idéaux existant au-delà des corps physiques ". Mais il partage " leurs positions générales, c’est-à-dire le fait que la solution des mystères du monde devrait être recherchée dans 1’"aspect géométrique du nombre" ; que la simplicité, la régularité, la symétrie, l’harmonie et la vérité sont associées ".

Simplicité et beauté mathématiques semblent représenter l’idéal "esthétique" de D’Arcy Thompson. Le nombre, la correspondance et surtout la symétrie, que le miracle naturel continue de nous proposer, semblent être le résultat de l’admirable intervention d’un grand artiste. La nature s’exprime en termes mathématiques et les formes sont des nombres, des structures simples, réductibles à un petit nombre de formules élémentaires. Cependant, cet "idéal esthétique" apparaît comme ce qu’il y a de plus loin de l’"esthétique" conçue comme théorie de la sensibilité. Le complexe, le qualitatif, la forme dans sa multiple variété, sont complètement effacés par D’Arcy Thompson, dans la perspective d’une rigueur mathématique certes fascinante, mais qui tend néanmoins à réduire au simple géométrisable cette complexité irremplaçable sur laquelle l’esthétique - du moins sous plusieurs aspects - semble encore vouloir se fonder.



 DEUXIEME PARTIE : L’architecture de la vie (extraits)


 La tenségrité

Malgré des siècles d’étude, les chercheurs comprennent mal les forces qui poussent les atomes à s’auto-assembler en molécules. Ils ignorent encore comment des groupes de molécules se conjuguent pour créer les cellules vivantes et les tissus. Une large palette de systèmes naturels, atomes de carbone, molécules d’eau, protéines, virus, cellules, tissus, et même les êtres humains et les autres créatures vivantes, sont construits sur un même principe architectural, que nous désignerons par le néologisme de tenségrité. Ce terme caractérise la faculté d’un système à se stabiliser mécaniquement par le jeu des forces de tension et de compression qui s’y répartissent et s’y équilibrent.

Cette découverte fondamentale pourrait être appliquée dans de nombreux domaines. Au niveau cellulaire, la tenségrité explique comment la forme cellulaire et les forces mécaniques - telles que la pression dans les vaisseaux sanguins ou la compression dans les os - influent sur l’activité des gènes. Une meilleure intelligence des règles naturelles de l’auto-assemblage nous permet, dans des applications allant de la conception de médicaments à la fabrication de tissus, d’intégrer avec plus de pertinence les caractéristiques des molécules, des cellules et des autres constituants biologiques. L’omniprésence de la tenségrité dans la nature ouvre de nouvelles perspectives sur les forces qui régulent l’organisation biologique et, peut-être, sur l’Évolution elle-même.


 Qu’est-ce que la tenségrité ?

Les structures établies par la tenségrité sont stabilisées, non par la résistance des constituants individuels, mais par la répartition et l’équilibre des contraintes mécaniques dans la totalité de la structure. Ces structures se répartissent en deux catégories. Dans la première, on classe les armatures constituées de tiges rigides, dont chacune peut travailler en traction et en compression, et qui sont assemblées en triangles, en pentagones ou en hexagones ; l’orientation des tiges détermine la position de chaque articulation et garantit la stabilité de la structure. Les dômes géodésiques de Buckminster Fuller sont ainsi constitués.


 Du squelette au cytosquelette

Quel rapport y a-t-il entre la tenségrité et le corps humain ? Les principes de la tenségrité s’appliquent à toutes les échelles. À l’échelle macroscopique, les 206 os qui composent notre squelette sont comprimés par la force de gravité et stabilisés dans la position verticale grâce à la traction exercée par les muscles, les tendons et les ligaments (qui jouent un rôle similaire à celui des câbles dans les sculptures de K. Snelson). Dans l’organisme, les os sont les structures de compression, tandis que les muscles, les tendons et les ligaments travaillent en traction. À l’autre extrémité de l’échelle, les protéines et autres molécules essentielles sont aussi stabilisées par la tenségrité.

 Comment la mécanique commande la biochimie

La tenségrité explique des phénomènes autres que la stabilisation de la forme des cellules et des noyaux. Au milieu des années 1980, Steven Heidemann, qui travaillait avec Harish Joshi et Robert Buxbaum, à l’Université du Michigan, a montré que la tenségrité explique comment les cellules nerveuses déploient des prolongements minces et très allongés, nommés prolongements axonaux, qui sont remplis de microtubules et transmettent des signaux électriques dans le système nerveux. Cette croissance est nécessaire pour la réparation des lésions nerveuses.

L’équipe de S. Heidemann a découvert qu’à leurs extrémités les microtubules sont comprimés par la traction exercée à l’intérieur des axones par les micro-filaments contractiles. Plus important encore, ces chercheurs ont observé que l’assemblage des microtubules - et donc l’allongement des axones - résulte de la libération des contraintes de compression des microtubules, contraintes qui sont transférées aux sites d’interaction de la cellule et de sa matrice extra cellulaire. Au niveau moléculaire, l’équilibre des forces de tenségrité associe la mécanique et la biochimie.

Tout récemment, Andrew Matus, de l’Institut Friedrich Miescher de Bâle, a parachevé cette expérience : il a fabriqué des cellules où les microtubules sont fluorescents et a ainsi observé la déformation (le flambement) de ces microtubules quand ils sont comprimés.

Le modèle de la tenségrité montre que la structure du cytosquelette cellulaire est modifiée par les forces transmises à travers la surface de la cellule. Ce constat est important, car un grand nombre d’enzymes et d’autres substances qui commandent la synthèse des protéines, la conversion de l’énergie et la croissance sont solidaires du cytosquelette ; une modification des caractéristiques géométriques et mécaniques du cytosquelette influe certainement sur les réactions biochimiques, modifie les gènes activés, et donc les protéines fabriquées.

En agissant sur la forme des cellules, ils commandaient certains programmes génétiques. Les cellules qui s’étalaient et s’aplatissaient se divisaient mieux, tandis que les cellules rondes qu’ils empêchaient de s’étaler activaient un programme de mort programmée, ou apoptose. Quand les cellules n’étaient ni trop étalées ni trop contractées, elles ne se divisaient pas, elles ne mouraient pas, mais se différenciaient en tissus spécifiques : les cellules de capillaires formaient des tubes capillaires creux, les cellules hépatiques sécrétaient des protéines que le foie fournit habituellement au sang, et ainsi de suite.

Ainsi, la reconformation mécanique de la cellule et du cytosquelette commande le fonctionnement de la cellule. Les cellules très aplaties, dont le cytosquelette est étiré, "sentent" qu’un plus grand nombre de cellules est nécessaire pour couvrir le substrat - comme lors de la cicatrisation d’une blessure - et qu’une division cellulaire s’impose. La forme arrondie correspond à la situation où trop de cellules sont en concurrence sur la matrice ; certaines doivent mourir pour empêcher une prolifération incontrôlée et la formation d’une tumeur. Entre ces deux situations extrêmes, le tissu se comporte normalement. Cette commutation ouvre de nouvelles voies pour le traitement des cancers ou la réparation des tissus, et peut-être même pour la création de tissus artificiels.


 Un modèle universel ?

La structure géodésique observée à l’intérieur du cytosquelette est un exemple classique d’un motif naturel existant à toutes les échelles. Des groupes sphériques d’atomes de carbone baptisés fullerènes, ainsi que des virus, des enzymes, des organites, des cellules et même de petits organismes, ont des formes géodésiques. Pourquoi ? À mon avis, la répétition de ce motif constitue une preuve visuelle de l’existence de règles de base pour l’auto-assemblage. En particulier, toutes ces entités se stabilisent en trois dimensions de la même façon, à savoir en réarrangeant leurs éléments pour minimiser l’énergie et la masse, à l’aide de tensions exercées de façon continue et de compressions locales, c’est-à-dire au moyen de la tenségrité.

L’assemblage des virus, les plus petites formes de vie sur Terre, met en jeu des liaisons entre un grand nombre de protéines qui s’assemblent en une enveloppe virale géodésique renfermant le matériel génétique. Lors de la formation d’un virus, des extensions linéaires de protéines chevauchent des prolongements voisins d’autres protéines, pour constituer une armature géodésique triangulée à l’échelle nanométrique. Chaque joint de cette armature se stabilise, car les forces d’attraction intermoléculaires (les liaisons hydrogène) équilibrent les forces exercées par les prolongements protéiques qui résistent aux compressions et aux déformations.

Il est cependant moins évident que ces mêmes règles de construction s’appliquent à des structures irrégulières, comme de nombreuses molécules biologiques dont la forme n’est pas une géodésique. Les protéines, qui imposent la structure des cellules et plusieurs de leurs fonctions, sont de longues chaînes d’acides aminés. De petites régions de ce squelette d’acides aminés se replient en hélices qui se stabilisent du fait de l’équilibre entre les forces d’attraction des liaisons hydrogène et les forces qui permettent aux protéines de résister à la compression : ces régions hélicoïdales se stabilisent grâce à la tenségrité, comme n’importe quelle molécule hélicoïdale telle que l’ADN.

Ainsi, des molécules aux os, aux muscles ou aux tendons, la tenségrité est le système de construction privilégié de la nature. Seule la tenségrité peut expliquer, par exemple, comment, chaque fois que vous bougez un bras, votre peau s’étire, votre matrice extra-cellulaire s’étend, vos cellules se déforment, et comment les molécules interconnectées qui forment l’armature interne des cellules ressentent cette sollicitation, le tout sans discontinuité.

La tenségrité peut même expliquer comment tous ces phénomènes sont aussi parfaitement ordonnés dans une créature vivante. À l’Université Johns Hopkins, Donald S. Coffey et Kenneth J. Pienta ont découvert que les structures de tenségrité fonctionnent comme des oscillateurs harmoniques couplés. L’ADN, les noyaux, les filaments du cytosquelette, les canaux ioniques membranaires, de même que les cellules entières et les tissus vibrent selon des fréquences de résonance caractéristiques. La répartition des forces au sein d’un réseau de tenségrité couple les éléments du système et les "accorde" mécaniquement, comme s’il n’y avait qu’un élément unique.

Si les variations dans l’ADN sont génératrices de diversité biologique, les gènes sont un produit de l’Évolution, et non la cause qui la dirige. En fait, des formes géodésiques similaires à celles observées dans les virus, les enzymes et les cellules existaient déjà dans le monde inorganique des cristaux et des minéraux, bien avant que l’ADN n’existe. Même les molécules d’eau ont une structure géodésique.


 Conséquences pour l’Évolution

Comment des constituants inorganiques ont-ils évolué en molécules organiques et en cellules ? Question pertinente. Après tout, en ce qui concerne la façon dont des propriétés nouvelles se manifestent, l’auto-assemblage des molécules en organites ou des cellules en tissus n’est pas très différente de l’organisation des atomes en composés. Par exemple, le sodium, qui est un métal explosif, et le chlore, qui est un gaz toxique, se combinent pour former du chlorure de sodium, dont une propriété inattendue est son utilité comme sel de table. Le principe qui importe ici est la façon dont une structure se forme et assure la cohésion de ses constituants ; cette caractéristique régit le comportement de la structure.

Les chercheurs sont maintenant convaincus que l’évolution biologique a commencé dans des couches d’argile plutôt que dans la mer primordiale. Il est intéressant de noter que l’argile consiste en un réseau poreux d’atomes disposés selon les règles géodésiques au sein de formes octaédriques et tétraédriques. Comme ces octaèdres et ces tétraèdres ne sont pas fortement compactés, ils peuvent bouger et glisser les uns par rapport aux autres. Cette souplesse, semble-t-il, permet à l’argile de catalyser un grand nombre de réactions chimiques, notamment celles qui ont pu produire les premiers éléments de construction de la vie organique.

L’apparition de l’ADN et des gènes donna naissance à un nouveau mécanisme pour engendrer une diversité structurelle qui accéléra l’Évolution. Pendant tout ce temps, les règles définissant le processus d’auto-assemblage hiérarchique restèrent pratiquement inchangées. Il n’est donc pas surprenant que la disposition générale des os et des muscles soit extraordinairement voisine chez Tyrannosaurus rex et chez Homo sapiens, que les animaux, les insectes et les plantes doivent tous aux contraintes la stabilité mécanique de leurs organismes et que les formes géodésiques telles qu’hexagones, pentagones et spirales soient omniprésentes dans les systèmes naturels.


 Conclusion

Voici une nouvelle approche de la morphogénèse qui part de l’idée que la forme d’un être vivant n’est pas un simple bout d’espace modelé par des forces extérieures mais la matérialisation d’une intention qui vient du dedans, parce qu’elle doit avoir un sens pour l’être qui la conçoit et les êtres qui la perçoivent.

 TROISIEME PARTIE : Vie des formes et formes de vie (extraits)


 Ontogenèse et phylogenèse

L’hypothèse scientifique qui prévaut actuellement pour expliquer la genèse des êtres vivants se résume ainsi :

  • 1. voici plusieurs milliards d’années, des molécules prébiotiques se sont formées spontanément dans l’atmosphère terrestre, composée à l’époque d’eau, de méthane, d’ammoniac et d’hydrogène, grâce à l’action énergique de décharges électriques, comme il s’en produit au cours des orages (c’est la fameuse expérience de Miller) ;
  • 2. ces molécules se sont accumulées dans des flaques au sol, constituants des "soupes primitives" d’où sont sorties, toujours spontanément, des molécules plus complexes, puis des molécules autorépliquantes, ancêtres de l’ADN, puis l’ADN lui-même, et enfin des cellules pleinement constituées ;
  • 3. à force de mutations "au hasard" du matériel génétique, ces cellules ont évolué, jusqu’à faire surgir des espèces aussi complexes que les abeilles, les dauphins ou l’homme, le milieu se chargeant d’éliminer impitoyablement tous les organismes non adaptés ou insuffisamment compétitifs ;
  • 4. la morphogénèse d’un organisme est entièrement dirigée par l’ADN ; c’est lui qui commande la synthèse des protéines, la différenciation cellulaire, la multiplication et la répartition spatiale des cellules, la croissance, etc.


Chacun de ces points est sujet à controverse, comme nous le verrons dans les parties suivantes.


 Comment s’y retrouver ?

La nature nous offre un catalogue de formes d’une richesse inouïe. Quoi de commun entre une minuscule diatomée au squelette de silice et un séquoia géant de 100 mètres de haut, entre une méduse molle et transparente et un bélier au front dur comme de la pierre, entre un pinson et un requin, une abeille et un dauphin ? Pouvons-nous trouver des règles générales présidant à l’élaboration de ces formes ? Des observations de bon sens devraient nous aider à gagner quelque compréhension de ce sujet éminemment complexe.


 Similitudes et différences

>Première remarque : des formes semblables peuvent être obtenues par des mécanismes très différents. Par exemple les graines d’érable sont munies d’une aile pour être mieux dispersée par le vent, qui ressemble fort à une aile de libellule. Seulement l’une est végétale et l’autre est animale ! Voyez aussi les images de la figure 1 (dans les formes de la nature, de Stevens, chez Seuil, page 208)
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Elles montrent six structures en écailles qui présentent un indéniable air de famille. Pourtant ces formes appartiennent à des espèces très différentes : a. est la peau d’un serpent, b. la peau d’un poisson, c. la peau du pied d’une tortue, d. la carapace faite de poils soudés du pangolin myrmécophage, e. une graine d’asclépiade, f. des plumes du paon de Java !
Inversement, des mécanismes semblables peuvent donner naissance à des formes très différentes. Je ne citerai que l’exemple des coquilles de mollusques : impossible de confondre la rectitude du couteau de mer avec la spirale mathématique du nautile, la coupelle parfaite de la coquille St Jacques avec les décrochements tourmentés de l’huître. Il s’agit pourtant dans tous les cas de calcium déposé selon le même processus.
Voilà qui m’amène à une autre remarque. Tous les êtres vivants sur cette Terre sont bâtis à partir des mêmes éléments de base, ceux de la recette donnée en ouverture de cet essai, dans des proportions qui varient évidemment de l’un à l’autre. La preuve en est qu’ils sont tous comestibles les uns pour les autres. Chacun est tour à tour prédateur et proie, se nourrissant de certains êtres, pour servir ensuite de nourriture à d’autres.
La similitude va même plus loin. Non seulement les êtres vivants ont une composition chimique semblable (hydrogène, oxygène, carbone, etc.), mais en plus c’est le même principe de codage qui sert à tous à faire fonctionner la machinerie cellulaire .
Et l’étonnant est que lorsqu’on change d’échelle pour passer au niveau macroscopique des formes, une sorte de similitude se retrouve au sein de chacun des grands règnes. Cette fois la ressemblance est d’ordre topologique. Pour sentir en quoi elle consiste, imaginez deux glands de chêne. Vous pouvez les planter et faire de l’un un bonsaï de 20 centimètres de haut, et laisser l’autre pousser jusqu’à atteindre 20 ou 30 mètres. Vous n’aurez sûrement aucun mal à admettre leur parenté de forme par delà leur différence de taille.
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Plus généralement, il est possible, par une série de transformations plus ou moins compliquées, de rendre superposables toutes les formes d’arbres, ou toutes les formes de poissons, ou toutes celles d’insectes, de mammifères, etc. Le travail de pionnier dans ce domaine a été accompli comme nous l’avons vu par le biologiste d’Arcy Thompson.
Reste tout de même que par delà toutes ces similitudes constitutives et topologiques, chaque être vivant est unique et parfaitement reconnaissable. Pour nous limiter à la catégorie des êtres humains, chacun sait la facilité que nous avons à reconnaître les visages. C’est au point que, souvent, quelques traits suffisent pour identifier quelqu’un sans la moindre ambiguïté. Et tout l’art des caricaturistes est de choisir justement les "bons" traits !
Dernière remarque. On constate souvent dans la nature que le plus simple cohabite avec le plus compliqué, voire le plus extravagant. La figure 3 en donne quelques exemples, qui sont loin d’être exceptionnels.
Qu’on ne vienne surtout pas nous dire que le milieu a sélectionné ces protubérances malcommodes parce qu’elles conféraient à ces punaises un avantage pour leur survie ! Quitte à faire un commentaire, je préfère dire comme Chauvin que c’est "de l’art pour l’art".

D’une manière plus générale, on ne saurait dire que la forme est déterminée par la fonction. Si une étonnante convergence a conduit l’aile de la graine d’érable à ressembler à une aile de libellule, il n’en va pas de même dans la plupart des autres cas : impossible de confondre une aile d’insecte avec une aile d’oiseau ni avec une aile de chauve-souris. Et ces différences ne sont pas imputables à des différences de poids à porter ou de distance à parcourir : l’aile de l’oiseau-mouche a plus de parenté avec celle de l’aigle qu’avec celle des papillons, dont certains spécimens sont pourtant aussi gros que lui ; d’autre part, il y a des insectes qui franchissent des montagnes et des océans, et des oiseaux dont les ailes ne servent plus au vol (autruches, pingouins, etc.). Bref, rien n’est simple !


 Des forces à l’œuvre

Que des forces physique agissent "mécaniquement" pour façonner les organismes, voilà qui n’est pas douteux (cf la tenségrité vu précédemment). Nos corps sont faits de matière, laquelle a ses lois, pas forcément aussi incontournables qu’on le croit d’ordinaire, mais bien présentes tout de même. Parmi une foule d’exemples très divers montrant ces forces en action, en voici un qui a le mérite de sortir de l’ordinaire. Il est emprunté à Alfred Tomatis, grand connaisseur de l’oreille

On sait que l’oreille est capable de sélectionner ce que l’on désire entendre. Par exemple, écoutant un quatuor, on peut concentrer son écoute pour suivre plus particulièrement le violoncelle, ou bien l’alto. Cette faculté d’adaptation est due à deux petits muscles de l’oreille. Ils servent à ajuster l’écoute, à faire ressortir certaines bandes de fréquences. Le premier est le muscle de l’étrier, qui contrôle la pression des liquides à l’intérieur de l’oreille ; le second est le muscle du marteau, qui commande la membrane tympanique. Or il se trouve que le muscle de l’étrier est sous la dépendance du nerf facial, lequel contrôle l’expressivité du visage, tandis que le muscle du marteau est commandé par un nerf qui est une émanation du nerf maxillaire inférieur. Par conséquent, écoute et forme du visage sont indissociables !
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Si l’on constate maintenant qu’à chaque langue correspond une répartition particulière des fréquences acoustiques, comme on le voit sur la figure 4, on en déduit que le fait de parler une langue conduit à modeler le faciès ! Comme dit Tomatis : " Sous l’effet de la langue, les traits subissent un lent mais inexorable lifting physiologique ".


 L’imitation chez le nourrisson

L’exemple précédent est fort intéressant, mais nous ne saurions en rester là. En effet, nous avons aussi la possibilité de changer à notre guise la forme de notre visage. Et ce n’est pas seulement un talent donné à quelques uns qui en font spectacle. Chacun d’entre nous, même s’il n’en fait pas intentionnellement usage, a des dons d’imitateur. Cela se manifeste dès le plus jeune âge.

Meltzoff et Moore (cités par Chauvin) ont ainsi constaté que des nourrissons âgés de moins de 21 jours sont déjà capables d’imiter quelqu’un qui tire la langue, ouvre la bouche, ou accomplit différentes mimiques faciales. L’intéressant est qu’ils savent le faire même après que l’expérimentateur a cessé sa mimique.

Ces petits jeux de grimaces peuvent sembler banals. Je tiens donc à insister sur la performance que cela représente. Ces observations signifient que les très jeunes enfants sont capables de modifier leurs attitudes en comparant l’image qu’ils donnent de leur corps et qu’ils ne voient pas, avec le souvenir qu’ils ont d’une forme perçue visuellement, et cela presque dès leur naissance, malgré un cerveau profondément immature !

En y réfléchissant, je crois voir dans ce qui est à l’œuvre derrière ce phénomène d’imitation une piste sérieuse pour atteindre à une compréhension plus sensée des formes. Ce que je vois en effet, c’est la possibilité que les formes soient modeler de l’intérieur. Mon hypothèse est donc que les formes sont avant tout le résultat de la projection d’une intention ; les forces physiques deviennent le moyen de son accomplissement dans la matière, avec bien sûr parfois des contraintes telles que sont induites des modifications plus ou moins importantes, mais qui apparaissent alors comme de simples épiphénomènes.

Voyons ce que la nature a à nous dire lorsqu’on la regarde de cette manière.


 Le papillon Kallima de Ceylan.

Concernant les jeux d’imitations entre plantes et insectes, Rémy Chauvin nous donne l’exemple du papillon Kallima de Ceylan :

" La partie supérieure des ailes de ce papillon est foncée et traversée de bandes rouges et bleues très visibles. Quand, dans sa position de repos, il accole ses ailes par leur face supérieure, comme on ferme un livre, l’illusion est complète : il disparaît littéralement ! Non seulement la face inférieure est de la couleur des feuilles mortes, mais les nervures de la feuille sont très bien indiquées. De plus, il existe parfois des découpures irrégulières sur le bord des feuilles mortes qui sont grignotées par divers habitants de la forêt : ces découpures ne manquent pas sur le bord de l’aile ; un bacille attaque parfois le limbe de la feuille en dévorant la partie médiane pour ne laisser subsister que l’épiderme supérieur transparent : ces fenêtres transparentes sont bien ici, sur l’aile du papillon… Enfin, qui n’a vu les petites taches noires et arrondies que certains champignons microscopiques font sur les feuilles mortes ? Et bien, elles y sont aussi et leurs détails sont si précis que le savant mycologue Roger Heim a pu déterminer quelle était l’espèce de champignon ainsi imitée. Et le tout n’est composé bien entendu que d’écailles de papillon.

On pourrait alors admettre que la protection contre un prédateur éventuel est absolument parfaite. Mais ce n’est sans doute pas la bonne conclusion. Si aiguisée que soit la vision chez les oiseaux et les lézards qui pourraient s’intéresser au Kallima, de nombreuses expériences, répétons-le, ont néanmoins montré que la meilleure des protections consistait dans une imitation plus ou moins rudimentaire de la couleur des feuilles et surtout dans l’immobilité ! Le démiurge est ici allé beaucoup plus loin qu’il n’était nécessaire. Il a fait de l’art pour l’art, pourrait-on dire. "


 L’orchidée Ophrys et la guêpe Goryte.

Dans cette étrange relation entre une fleur et un insecte, le premier fait remarquable est que le mâle Goryte naît environ un mois avant la femelle, ce qui élimine toute concurrence entre son épouse légitime et sa maîtresse. Le second fait remarquable est que la corolle de la fleur ressemble fort à l’insecte : forme, taille, couleur, reflets, pilosité, tout y est. Le troisième fait est, lui, carrément extraordinaire : la fleur sécrète une odeur analogue à la phéromone que la femelle synthétise pour attirer le mâle ! Celui-ci, en état de manque évident, se laisse abuser, et se livre sans retenue à une copulation avec la fleur, qui va parfois jusqu’à l’émission de sperme. Bien sûr, il ne naîtra pas de guêpes de ces amours étranges. En revanche, en se trémoussant sur sa maîtresse, le mâle accrochera un peu de pollen, qu’il ira ensuite déposer sur une autre fleur avec laquelle il se livrera à de semblables ébats.

Comment l’orchidée, qui est une plante dotée d’organes de perception plus de rudimentaire, a-t-elle fait pour ressembler à ce point à un insecte ? L’explication classique consiste à s’en remettre au hasard, qui, à force de mutations, aurait fini par créer cette extraordinaire ressemblance. Ce serait à l’extrême limite acceptable si ce cas était unique. Or loin de constituer des exceptions, de telles coévolutions entre fleurs et insectes s’avèrent très fréquentes, en particulier chez les orchidées, qui se sont lancées dans l’invention de dispositifs tous plus invraisemblables que les autres pour réaliser le transport du pollen.


 Les punaises Flatidae et la fleur corail.

Dans African genesis, Robert Ardrey raconte cette étonnante histoire. Au Kenya, Louis Leakey lui montra un fleur couleur corail, composée de nombreux boutons, un peu comme une jacinthe. En s’approchant, il réalisa que chacun de ces boutons était en fait l’aile d’un insecte, une punaise appelée Flatidae. Ardrey se dit que ce n’était qu’un exemple de plus de défense par imitation. Sauf que Leakey précisa que cette fleur "imitée" n’existait pas dans la nature ! Et pour montrer combien tout cela était bien organisé, il ajouta que chaque groupe d’oeufs pondus par la femelle comprenait au moins une punaise avec des ailes vertes, pour former un bourgeon vert à la pointe de la fleur reconstituée, et quelques unes avec des ailes de nuances intermédiaires entre le vert et le corail, correspondant à des boutons partiellement ouverts. Bien sûr, chacune savait son rôle à la perfection. Il suffisait d’agiter la branche pour faire s’enfuir la colonie et la voir revenir peu après. Au bout d’un moment, chaque punaise avait repris sa place, pour que l’ensemble donne à nouveau l’illusion d’une fleur couleur corail.

Si cette fleur n’existe pas dans la nature, ce que réalisent ces punaises est tout de même bien une imitation, mais à un niveau plus subtil. Pour inventer cette forme de fleur, elles ont du d’une manière ou d’une autre accéder à des "informations" concernant le sens de la forme fleur en général (bourgeon terminal, boutons ouverts ou fermés, symétries, etc.), ainsi que le sens de la fleur pour les oiseaux (puisqu’il s’agit aussi d’un moyen de se protéger de ces prédateurs). Comme on n’imagine pas que ces informations transitent par les sens physiques, tout comme dans l’exemple précédent des orchidées, c’est qu’il doit se passer "quelque chose" au-dedans. Les punaises Flatidae auraient-elles rêvé la fleur, et l’orchidée la guêpe ?

Que pouvons nous en déduire

  • une forme n’est pas un simple bout d’espace modelé par des forces extérieures,
  • elle est la matérialisation d’une intention qui vient du dedans,
  • parce qu’elle doit avoir un sens pour l’être qui la conçoit et les êtres qui la perçoivent.

Voilà ce que les phénomènes d’imitation rendent apparents. Il semble légitime de généraliser pour dire que : les formes des êtres vivants sont la matérialisation de certaines de leurs intentions. Evidemment, la plupart viennent de niveaux très profonds, celui des espèces.


 Morphogénèse : de l’intention à la forme incarnée

A de rares exceptions près, qui ont sans doute leur raison d’être, les formes issues du minéral, celles des êtres vivants, et celles conçues par l’homme, sont suffisamment différentes pour que nous n’ayons guère de peine à les distinguer. Nous sentons confusément que derrière, il y a des principes organisateurs, certes pas faciles à expliciter, mais suffisamment différents pour que notre conscience discrimine les formes qui en sont le produit.

Dans le règne Minéral, de puissantes forces formatrices agissent au niveau atomique. Encore convient-il de préciser ceci : "Il est permis de croire les théoriciens de la physique qui nous disent que toutes les propriétés des substances devraient être calculées par les méthodes connues de l’équation de Schrödinger. Nous avons pourtant constaté qu’au cours des trente années qui suivirent la découverte de l’équation de Schrödinger, seuls quelques rares calculs de mécanique quantique non empirique et précis intéressant la chimie ont été réalisés concernant les propriétés des substances." ( Linus Pauling) Ce n’est pas que la théorie ne marche pas ; c’est que les équations deviennent d’une complexité qui augmente très vite avec le nombre de particules en jeu, au point d’être impossibles à résoudre en toute rigueur. En particulier, on a beaucoup de mal à comprendre comment des molécules complexes comme des protéines se replient. Or c’est d’une importance capitale puisque leurs propriétés chimiques dépendent de leur forme.

Quoiqu’il en soit, des forces agissent qui donnent des formes très précises à la matière, mais qui ne dépassent qu’exceptionnellement l’échelle microscopique. A part les cristaux, la matière inorganique s’organise à notre échelle en tas informes, en agrégats, en amoncellements.

En comparaison, les formes conçues par l’homme paraissent éminemment ordonnées. C’est que leur élaboration obéit implicitement ou explicitement à des règles, qui, dans nombre de cas, se ramènent à ceci :

  • 1. on part de figures géométriques simples, pour ne pas dire simplistes, comme le triangle ou le rectangle, à deux dimensions seulement parce que c’est plus facile à concevoir ;
  • 2. on construit une forme tridimensionnelle en assemblant dans l’espace des formes bidimensionnelles simples.

L’intention, c’est de là justement que tout part dans la nature. Le poisson exprime à sa façon l’intention de conquête du milieu aquatique, l’oiseau l’intention de conquête du milieu aérien, l’arbre celle d’être une "antenne" qui fait communiquer la Terre et le Ciel à travers l’eau et la lumière…

Comment ces intentions se déclinent-elles dans toute une série de formes ? J’avoue n’en rien savoir ! Nous venons de pénétrer dans un territoire nouveau, où presque tout est à découvrir. Mais si nous ne sommes pas suffisamment avancés pour tenter une approche directe, nous devons pouvoir glaner quelques indices de manière indirecte.


 La suite de Fibonacci

La suite de Fibonacci est un objet mathématique qui construit chaque terme successif en additionnant les deux précédents, soit : Fn+1 = Fn + Fn-1 . Partant de F0 et de F1 égaux à 1, on obtient la suite de nombres : 1 1 2 3 5 8 13 21 34 55 89 144 etc.

Une des particularités de cette suite est que le rapport de deux termes consécutifs converge rapidement vers le fameux Nombre d’Or, qui vaut approximativement 1,618 : 13/8=1,625 21/13=1,615 34/21=1,619.

Quel rapport avec les formes ? Et bien l’étonnant est que, d’une manière ou d’une autre, cette suite se retrouve fréquemment dans la nature, par exemple :

  • A. dans les fleurs de tournesol, où les graines s’ordonnent en spirales toujours caractérisées par deux nombres consécutifs de la suite : 34 dans un sens et 55 dans l’autre pour les petites ; 55 et 89 pour les moyennes ; 89 et 144 pour les grandes. Idem avec les pommes de pin, l’ananas (8 et 13 spirales), etc.
  • B. de très nombreuses plantes ont leurs feuilles disposées en hélice le long de leurs branches, avec des arrangements qui sont là encore caractérisés par deux nombres consécutifs de la suite.
  • C. certaines plantes comme l’Achillea ptarmica ont des processus de croissance qui font apparaître la suite de Fibonacci dans le nombre des embranchements successifs.
  • D. les coquilles du nautile et de l’ammonite ont une forme spiralée déduite elle aussi de la suite de Fibonacci.
  • E. bien que ce ne soit pas en rapport direct avec la forme, je tiens à signaler sa présence dans l’ADN lui-même, sous forme de résonances qu’il serait trop long d’expliquer ici.

On entend parfois dire, en guise d’explication, que la suite de Fibonacci émerge "naturellement", au sens ici de " mécaniquement ", parce qu’elle permet un arrangement "optimal". A ceci, je rétorquerai :

  • 1. si c’est vrai, alors pourquoi la nature n’adopte-t-elle pas systématiquement de tels arrangements ;
  • 2. la nature ne recherche pas forcément l’optimum, la preuve étant qu’elle sait très bien se débrouiller avec des configurations qui sont loin de l’être. J’ajouterai qu’aucune raison physique ne permet de comprendre pourquoi le nautile s’enroule ainsi alors que la plupart des mollusques semblent se contrefiche de la suite de Fibonacci ! Enfin, j’aimerais signaler que cette suite ne se rencontre pratiquement pas dans le règne Minéral (pas du tout même à ma connaissance). Il arrive parfois que l’on tombe sur le Nombre d’Or, mais il est vraiment bien caché. Lorsqu’il apparaît, c’est le plus souvent en rapport avec des phénomènes chaotiques, plus précisément lors de leur transition d’un comportement quasi-périodique à un comportement chaotique.


 Récapitulons :

la suite de Fibonacci ne se trouve pratiquement pas dans le règne Minéral, elle est assez fréquente dans les règnes Végétal et Animal.Mais chaque fois qu’on la rencontre, il se trouve des espèces plus ou moins proches qui ne s’y conforment pas.

Ma conclusion est que cette présence organisatrice de la suite de Fibonacci ne relève pas d’une impérative nécessité physique, mais d’un choix délibéré au niveau de l’espèce.

C’est une sorte de règle sous-jacente à l’élaboration de sa forme, qui participe de son intention, une trame de fond sur laquelle la forme se tisse. Il y a sûrement plein d’autres règles qui reflètent, et qui ce faisant révèlent, l’existence d’une intention chez l’être qui prend forme dans la matière. Mais je n’irai pas plus loin, car au fond mon but est atteint : on sait maintenant que les formes des êtres vivants présentent certaines caractéristiques qui ne sont imputables ni au "hasard", ni à des "nécessités" physiques. Voilà qui suffit à ouvrir la porte à des dimensions non matérielles.

Mais à partir de là, toute une série de nouvelles questions se pose. En particulier, comment s’effectue le passage de l’intention à la forme matérialisée ?


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Commentaires

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jeudi 27 octobre 2011 à 14h29 - par  Alex

Dans l’expression de la morphogénèse du vivant, la suite de Fibonacci et le nombre d’Or sont combinés à la suite de Lucas, ainsi que l’a démontré le biomathématicien Jean-Claude Perez dans son ouvrage intitulé "L’ADN décrypté" (Editions Maco Pietteur, coll. Résurgences). Cette manifestation du code caché de l’ADN a également des prolongements au niveau atomique.
Votre approche d’une "intention interne" est d’une très grande fertilité scientifique, je vous en remercie.

dimanche 10 juillet 2011 à 10h36

les liens vers les articles se trouvent au début, et les références se trouvent dans les articles

dimanche 10 juillet 2011 à 10h12

Ou puis-je trouver des informations complémentaires concernant la partie 3, point E " la présence de la suite de Fibonacci dans l’ADN, sous forme de résonances " ?
Merci

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