[**Les marchés financiers s’affolent depuis plusieurs jours, avec une chute des places financières aux Etats-Unis, en Europe et en Asie*] : le Nasdaq et le S&P 500 sont descendus de plus de 6% lundi 8 août 2011 et la panique continue ce mardi ; la Bourse de Paris est encore encore descendue mardi 9 août 2011 de 4,68%, celle de Londres de 2,26% et celle de Francfort de 1,84%, ce qui amène les indices paneuropéens à diminuer de 1,2% pour l’EuroStoxx 50 et de 1,9% pour l’EuroFirst 300 [1] ; la Bourse de Tokyo a clôturé mardi 9 août à -1,68%, celle Séoul à -3,64%, celle de Hong Kong à -5,66%, Sydney à près de -5%, et Shanghai a ouvert à -2,33% [2].
La croissance et la consommation étant revus à la baisse, les marchés ont estimé que les besoins en pétrole seront plus faibles que prévu, entraînant une baisse du cours de pétrole. [**Il faut remonter à la crise des subprimes en 2007/2008 pour voir de pareilles diminutions *] [3]. Autre indice de la perte de confiance des marchés financiers : l’augmentation du cours de l’or [4]. Au total, les marchés financiers auront perdu près de 2.500 milliards de dollars en une semaine [5]. Dès lors, doit-on s’attendre à un nouveau krash boursier ?
Mais revenons un peu en arrière :
Octobre 2009 : le gouvernement socialiste grec nouvellement élu découvre la réalité des finances publiques : alors que la droite affichait un déficit de 6 % du PIB, le premier ministre Georges Papandréou révèle qu’il est en fait de 12,7 % [6].
Décembre 2009 : les agences de notation baissent la note de la dette grecque.
Février 2010 : les marchés financiers spéculent sur la dette grecque [7]
28 avril 2010 : l’agence de notation Standard & Poor’s déclasse la note grecque au rang des "obligations pourries" (junk bonds). Athènes ne peut plus emprunter sur les marchés.
27 mai 2010 : pour rassurer les marchés, le gouvernement espagnol adopte un plan de rigueur [8]. Ce plan amène les Espagnols indignés (Indignatos) à manifester et à camper sur la place Puerta del Sol à Madrid [9].
29 juillet 2010 : pour rassurer les marchés, le gouvernement italien annonce un plan de rigueur [10], entraînant des grèves et des manifestations [11].
20 octobre 2010 : la gouvernement britannique annonce un plan de rigueur [12] qui sera suivi d’importantes manifestations [13]
27 octobre 2010 : en France, après d’autres réformes touchant les dépenses publiques (non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, diminution des remboursements de médicaments, etc.), l’Assemblée nationale adopte la réforme des retraites proposée par le gouvernement, après de nombreuses manifestations [14].
22 novembre 2010 : pour rassurer les marchés, le gouvernement portugais annonce un plan de rigueur, malgré 3 millions de manifestants.
15 avril 2011 : nouveau plan de rigueur en Grèce suivi de manifestations et d’une grave générale le 11 mai. La dette grecque dépasse désormais 150 % du PIB [15].
Mai 2011 : après un plan de sauvage de 110 milliards d’euro pour la Grèce, l’UE négocie un fonds de sauvetage pour les pays menacés par l’expansion de la crise financière grecque (Italie, Espagne, Portugal) d’un montant de 750 milliards d’euros. Le mouvement des Indignés se répand en Grèce.
11 Juin 2010 : le premier ministre japonais, Naoto Kan, annonce un plan d’austérité [16]
13 juillet 2011 : l’agence de notation Fitch dégrade la note de la Grèce de trois crans, qui passe ainsi à CCC. Elle sanctionne la cacophonie des Etats européens à propos de crise grecque [17]. L’Italie annonce un nouveau plan de rigueur.
18 juillet 2011 : les bourses européennes reculent. La Banque Centrale Européenne (BCE) et les 17 banques centrales de la zone euro (l’Eurosystème) sont en effet impliqués à hauteur de 162 milliards d’euros dans la dette grecque, dont 52 milliards pour la dette souveraine (avec 15 milliards pour la France et 22 milliards pour l’Allemagne). La BCE serait également impliquée à hauteur de 130 milliards d’euros [18].
21 juillet 2011 : aidée du FMI, la BCE décide d’un nouveau plan d’aide à la Grèce de 159 milliards d’euros. Malgré cela l’agence de notation Moody’s dégrade quatre jours plus tard la note de la dette à long terme de la Grèce, la plaçant à un cran du défaut de paiement [19].
Mardi 2 août 2011 : le Sénat américain adopte le plan du président Obama visant à réduire les dépenses budgétaires de 250 milliards ces prochaines années... et de relever le plafonds de la dette publique de 2.100 milliards de dollars. Les Etats-Unis étaient déjà le pays le plus endetté du monde avec 14.300 milliards de dollars de dettes [20], mais c’était aussi le plus pays l’économie la plus solide de la planète à cause de l’importance du dollar dans les transactions financières mondiales.
Mecredi 3 août 2011 : l’agence de notation chinoise Dagong baisse la note des Etats-Unis, par rapport à leur capacité à rembourser leur dette.
Vendredi 05 août 2011 : l’agence de notation newyorkaise Standard & Poor’s déclasse les Etats-Unis [21], en passant de la note AAA à AA+. Dans le même temps, elle déclasse également des spécialistes du refinancement hypothécaires Fannie Mae et Freddie Mac et cinq compagnies d’assurance. Toutes les agences de notation maintiennent cependant le triple A des Etats-Unis, telles que les agences Moody’s et Fitch.
Samedi 6 août 2011 : Pékin rappelle à l’ordre Washington : "Les Etats-Unis doivent cesser de vivre au-dessus de leurs moyens". La Chine est en effet le premier créancier de la dette américaine : elle possède 1.160 milliards de dollars de bons du Trésor américains [22]. Le Japon, deuxième créancier après la Chine, reste silencieux. Des émeutes éclatent dans la banlieue de Londres.
Lundi 8 août 2011 : l’agence de notation Standard & Poor’s abaisse la note de la Grèce de deux crans, qui passe de BB- à seulement B, suite aux rumeurs d’une sortie de la zone euro qui mettrait la Grèce dans l’incapacité de rembourser sa dette. D’autres agences de notation suivent le même chemin [23].
Mardi 9 août 2011 : les émeutes qui secouent les banlieues de Londres s’étendent à d’autres villes d’Angleterre.
[**Les marchés financiers paniquent mais les Etats résistent.*] Le président Obama a déclaré : « Les États-Unis mériteront toujours le AAA ». Un plan de rigueur est annoncé [24]. En Europe, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont déclaré que le Fonds européen de stabilité financière (FESF) pourrait intervenir sur le marché secondaire (pour rassurer les marchés par l’achat d’actifs financiers) [25]. La note française reste inchangée (AAA), le gouvernement a réaffirmé sa volonté de ne pas augmenter les impôts et de maintenir sa politique budgétaire.
[**Au total, les Etat-Unis, le Japon et 9 pays européens auront adopté un plan de rigueur*] [26]. Ces plans suffisent difficilement à rassurer les marchés financiers. Au contraire, la diminution des investissements et du pouvoir d’achat ne prédisent-ils pas des lendemains difficiles pour l’économie ? De manière plus générale, ne manque-t-il pas une politique ambitieuse, des projets à long terme et une certaine "utopie" concernant l’avenir pour redonner confiance aux investisseurs ?
Mais les marchés financiers ont-il besoin d’être "rassurés" ? Le mécanisme à l’oeuvre dans cette crise amène à penser autrement :
1/ Les pays riches génèrent une croissance faible. La dette augmente plus vite que le PIB. La création de l’euro a permis de stabiliser la monnaie et d’empêcher l’inflation de la dette [27].
2/ L’importance du dollar dans les échanges mondiaux garantie également une certaine stabilité à l’économie américaine. Cette stabilité a incité la Chine à placer ses excédents dans les bons du Trésors américains. Nous aboutissons ainsi à un cercle vertueux : les Etats-Unis consomment des produis chinois, la Chine investit ses bénéfices dans la dette américaine, les américains peuvent continuer d’emprunter à taux faible pour acheter des produits chinois, etc.
3/ L’importance de l’Europe et de l’Asie sur les marchés financiers relativise l’importance de l’économie américaine et du dollar. La crise des subprimes et les dépenses militaires ayant gonflé la dette américaine, les agences de notation sanctionnent les Etats-Unis.
4 / La crise des subprimes a également amené l’Europe a s’endetter. Elle a également obligé l’Europe et le FMI à s’engager sur des milliards d’euro pour sauver les banques et les fonds d’investissement qui avaient spéculé. Les investisseurs peuvent donc recommencer à spéculer, le risque de faillite étant assumé par les Etats - et donc par les contribuables.
5/ La crise grecque agit comme la crise des subprimes : [**l’Europe essaie de sauver la Grèce comme elle a sauvé les banques*] de la faillite pour éviter un écroulement du système. Mais en empêchement un écroulement du système, on l’empêche aussi de s’assainir.
6/ [**La dégradation de la note de la dette américaine montre la soumission des Etats aux marchés financiers. *] Un nouvel ordre mondial est né. Les sommes de plus en plus importantes allouées par l’Europe pour renflouer la dette grecque - et donc pour rembourser les Etats, les banques et les fonds d’investissement - montre comment l’avidité des marchés financiers. Ce sont eux à présent qui donnent leurs ordres aux chefs d’Etat. Non pas directement, car le marché n’est pas un dictateur mais une idéologie. Si les plans de rigueur adoptés par les pays développés sont tous similaires, c’est qu’il existe une pensée unique en matière d’économie qui est celle du néolibéralisme : un Etat réduit à ses formes minimumes (l’Etat régalien), le reste étant privatisé, la seule régulation étant celle de l’offre et de la demande.
7/ Les économistes néolibéraux prenaient autrefois les Etats-Unis pour modèle.[** Maintenant que les Etats-Unis ont perdu leur triple A, où la pensée néolibérale trouve-t-elle un appui pour dire "Suivez nos conseils pour développer votre économie, vous voyez bien que ça marche" ?*] C’est pour cela que je dis que c’est devenue une idéologie. Les marchés financiers ne s’appuient sur rien d’autre.
En somme, les marchés financiers ne sont ni rationnels ni irrationnels, ils obéissent à une pensée de "ce à quoi doit ressembler une économie saine", la pensée néolibérale. [**L’argent et les promesses des Etats ne suffisent pas à "rassurer" les marchés parce que la réponse attendue par les marchés, même si ce n’est pas formulé ainsi, n’est pas de nature économique mais politique. *]
La question que nous devrions nous poser est : l’idéologie néolibérale ne risque-t-elle pas d’être utilisée par certaines personnes pour pour accélérer les réformes et modifier en profondeur la politique d’un pays ? Il existe en effet des multinationales, des banques et des fonds d’investissement aussi puissants que certains Etats. [**N’assistons-nous pas aujourd’hui même à une mise à l’épreuve de cette idéologie, à un rapport de force entre les Etats, les marchés et les peuples ?*] Quel en sera l’issue ?
Un nouveau krash boursier qui transformera en profondeur nos sociétés ? Les émeutes comme en Angleterre ? Une révolution comme dans les pays arabes ? L’arrivée d’un nouvel Hitler au pouvoir ? La création de communautés alternatives en marge de la société ? Une augmentation du nombre de suicides, des dépressions et de la consommation de médicaments ? La montée des fanatismes religieux ? Une troisième guerre mondiale ? La déchéance de l’Occident au profit de l’Asie ? La mise en place d’une économie de la décroissance ? La création de gardes-fous des Etats contre les dérives du capitalisme ? La fusion de l’euro et du dollar dans l’eurodollar pour stabiliser nos économies ? La création d’un gouvernement mondial pour donner plus de poids à la politique ? Rien car l’économie repartira comme avant ?
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Ce monde est à nous, changeons-le !