Connue comme la plus grande cité précolombienne de son époque, la cité de Teotihuacan [1] comptait entre 125 000 et 250 000 habitants selon les sources. Elle a été fondée vers les alentours de 200 avant Jésus-Christ et ses plus grands bâtiments, comme la pyramide dite "du soleil" a été construite vers l’an 100 de notre ère. Elle connut son apogée entre le Ve et le VIIe siècle. Ce site précolombien comporte plusieurs pyramides, dites pyramide de la Lune, pyramide du Soleil et le temple de Quetzalcóatl, le serpent à plumes.
En compilant des informations sur l’origine mystérieuse du site de Teotihuacan et la découverte en 2010 d’un souterrain dont l’accès a été muré vers 200 ap. J.-C., on en conclut que les premiers hommes qui ont habité ce site croyaient en des dieux chtoniens (en lien avec la terre, les morts...) par opposition aux dieux solaires (en lien avec le ciel, les astres...) des peuples qui leur ont succédé (les Aztèques...).
**Les dieux chtoniens, les serpents et les magiciennes
Etrangement, on retrouve cette même succession en Europe, que ce soit chez les Celtes, chez les Grecs ou les peuples de Mésopotamie, dont les anciens dieux sont devenus les dieux infernaux. L’une des créatures que l’on retrouve dans tous les mythes chtoniens est le serpent... qui est devenu symbole du mal dans les religions du Livre.
Selon une fable égyptienne, la déesse Isis a modelé le serpent pour récupérer le nom secret de Râ et récupérer ainsi son pouvoir - fable qui a bien pu influencer le récit de la Genèse. Le serpent protecteur de l’arbre de la connaissance du bien est du mal est l’ancêtre du dragon protecteur de trésors, le cousin du serpent Apophis chez les Egyptiens et du serpent-monde Jörmungand, qui était devenu si grand qu’il entourait le monde et se mordait la queue (comme le serpent Ouroboros des Grecs). Selon certains mythologues comme Salomon REINACH et Mircea ELIADE, si le serpent représente l’ennemi dans beaucoup de mythologies, c’est qu’il incarne les dieux anciens que les dieux solaires ont supplanté.
L’époque ancienne où les dieux chtoniens étaient adorés correspondaient à une autre société, où la Lune tenait la place du Soleil dans les religions postérieures, où la femme avait le rôle que l’homme aura dans la civilisation qui suivra.
Cela nous amène a faire le lien avec le statut négatif des femmes qui détenaient un pouvoir, qualifiées soit de sorcière, soit de magicienne dans de nombreuses cultures - à l’instar du serpent. Selon une explication sociologique, les femmes trouvaient là un moyen de récupérer un pouvoir qu’elle avaient perdu dans la nouvelle société patriarcale. Selon une explication historique, les croyances et les rites de ces femmes étaient un héritage des croyances aux dieux chtoniens (infernaux) qui étaient célébrés avant l’arrivée des Doriens chez les Grecs, des Aryens chez les Hindous, etc.
Il existerait donc une période de l’humanité au cours de laquelle les dieux solaires ont remplacé les dieux chtoniens et les sociétés patriarcales ont remplacé les sociétés matriarcales. Le monothéisme en est d’une certaine manière l’aboutissement (le Soleil chez Akhénaton, Dieu le Père chez les Hébreux...).
**De quelle invasion parlons-nous ?
Ce changement peut être lié à la période des grandes migrations de l’Age de Bronze, au IIème millénaire av. J.C. (-1200/-1300). Les peuples du Nord (Sibérie ?) sont descendus par vagues, poussant devant eux les peuples qu’ils chassaient de leurs terres : les Elamites envahissent Babylone et le dieu Marduk vient remplacer le culte de la déesse-mère (qui meurt et devient une divinité infernale) ; les Phrygiens envahissent l’Anatolie et entrainent la ruine de l’empire hittite ; les Doriens remplacent les Achéens en Grèce et créent la civilisation mycénienne (celle de la Guerre de Troie) ; les “Peuples de la mer” entraînent la chute de la civilisation minoenne et se heurtent à l’Egypte au cours des XIXe et XXe dynasties (sous Mérenpath et Ramsès III) ; les “Gaulois” remplacent les anciens peuples de la Gaule ; les Aryens remplacent les Dravidiens en Inde...
En Amérique centrale, Quetzalcóatl, le "serpent à plumes", est une divinité très répandue, on la retrouve pendant 2000 chez différents peuples : Toltèques, Olmèques, Mixtèques, Aztèques, Mayas. Elle trouverait sa source à Theotiuacan, où se trouve le plus ancien temple qui lui est consacré. Quetzalcóatl, le "dieu-serpent à plumes de quetzal" est une divinité terrestre à double titre : dieu-serpent proche de la terre, il était aussi un dieu infernal, parfois représenté sous la forme du dieu à la tête de chien Xolotl [2], qui était parvenu aux Enfers pour dérober les ossements des morts et ramener les hommes à la vie en les arrosant de son propre sang. C’est sans doute une des raisons pour laquelle on pratiquait en son nom des sacrifices humains.
**A quoi pouvait ressembler la civilisation chtonienne ?
Dans son livre L’Unité culturelle de l’Afrique noire : Domaines du patriarcat et du matriarcat dans l’antiquité classique (2e édition, 1982), le linguiste et historien Cheikh Anta DIOP vise à montrer que les sociétés africaines et égyptiennes forment une même entité culturelle, parce que les liens de parentés sont liés à la femme (avec le système de dot, l’importance de l’oncle...), en opposition avec les sociétés indo-européennes. Cette “unité culturelle” montre peut-être comment fonctionnaient l’ensemble des sociétés avant l’invasion des Indo-Européens.
Autre indice : dans l’antiquité, les dieux de Sumer, comme d’Egypte, possèdaient leur parèdre, leur équivalent féminin, c’est-à-dire que les dieux fonctionnaient par couple :
A SUMER
Au sommet se trouve la triade cosmique constituée de :
- An (« dieu-ciel »), maître du ciel, roi des dieux, et sa parèdre Antum ;
- Enlil (« seigneur-air »), maître de la terre, démiurge, dieu protecteur de Nippur, et sa parèdre Ninlil ;
- Enki (« seigneur-terre » ?), Ea pour les Sémites, maître des eaux douces, dont la femme est Ninhursag, divinité de la terre et déesse-mère.
EN EGYPTE
- Shou/Tefnout, parents de Geb/Nout lesquels engendrent Osiris/Isis et Seth/Nephtys dans la cosmogonie héliopolitaine ;
- Noun/Nounet, Heh/Hehet, Kekou/Keket, Amon/Amemet dans la cosmogonie hermopolitaine ;
- Amon/Mout (dans la triade de Thèbes) ;
- Ptah/Sekhmet (dans la triade de Memphis) ;
- Montou/Râttaouy (dans la triade de Médamoud)
A noter cependant une différence entre les dieux de Sumer qui ont plusieurs enfants et peuvent se remarier, et les dieux d’Egypte qui forment des triades strictes (père/mère/fils).
On retrouve le système des parèdres dans le shintoïsme (dont la divinité principale est la déesse Amaterasu) et dans plusieurs religions amérindiennes.
Selon Dumézil, les sociétés indo-européennes se reconnaissent par une répartition de la société en trois classes (guerriers, prêtres, agriculteurs et artisans), que l’on retrouve dans le système de caste hindou, chez les Celtes et dans la civilisation médiévale. Trois dieux principaux incarnent ces trois classes ou trois aspects de la société (c’est le chiffre 3 qui importe), ce sont à chaque fois des hommes, par exemple Jupiter, Mars et Quirinus chez les Romains, voire trois trois frères, par exemple Zeus, Hadès et Poséidon chez les Grecs.
Les religions solaires où les dieux mâles tiennent la place primordiale sont parfois plus complexes qu’il n’y paraît : Hadès, par exemple, enlève Perspéhone aux Enfers et retrouve ainsi sa parèdre, etc.
Cet article est un premier pas vers une réflexion plus aboutie, avec l’aide de vos remarques, critiques et suggestions.
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Le monde est étrange, vous ne trouvez pas ?