Début février 2015, à Montpellier [1], un tribunal a condamné trois jeunes SDF qui cherchaient à manger dans des poubelles de supermarché [2]. Une autre affaire est en cours avec un demeur d’emploi, une étudiante et un technicien du spectacle [3]. Dans une autre ville, un supermarché a mis des affiches sur ses poubelles pour prévenir les SDF (en tout cas, ceux qui savent lire) qu’ils avaient mis de la javel, avec le soutien de la gendarmerie [4]. Ces pratiques ne sont pas nouvelles, mais ces affaires permettent de réfléchir sur le manque de recyclage de nos déchets alimentaires et de rappeler le principal problème : il y a encore en France, aujourd’hui, des hommes et des femmes qui sont obligés de faire les poubelles pour ne pas mourir de faim [5].
Rappelons que 10 à 20% des produits alimentaires des hypermarchés (mais aussi des restaurants, des boulangeries...) finissent dans les poubelles. Pour faire la chasse au gaspillage, certains restaurateurs ont inventé le Doggy Bag, la pratique qui consiste à ramener chez soi les restes de ses repas. Si certains restaurants français commencent à le proposer, cela reste toutefois très marginal.
Source : capture d’écran Twitter
La société de consommation appelle au contraire au gaspillage. Au moyen âge et durant l’antiquité, le gaspillage était le fait de la noblesse, la preuve de la richesse (on mangeait et on se faisait vomir pendant les orgies romaines...). C’est la même raison qui pousse certains peuples africains à valoriser les femmes grosses : cela prouve que leur mari a les moyens de les entretenir.
Quand un SDF (ou un pauvre,disons-le mot) prend dans la poubelle d’un riche, il l’empêche de gaspiller.
Evidemment, il y d’autres raisons possibles :
- les raisons officielles : le SDF risquerait de tomber malade et de porter plainte (si les SDF avaient les moyens de payer un avocat, vous ne croyez pas qu’ils en appelleraient au droit du logement opposable ?) ; on veut éviter le trafic de nourriture avariée par certaines sociétés (? ??)
- l’hypocrisie coupable : on préfère voir un SDF mourir de faim que de lui faire prendre le risque de tomber malade pour avoir mangé un produit périmé depuis 1 jour
- cynisme brutal : un SDF mort vaut mieux qu’un SDF malade
- mauvais genre : on veut éviter d’attirer les pauvres des environs
- concurrence déloyale : les magasins ne veulent pas laisser croire que certains produits sont "gratuits"
En réalité, tout cela n’est pas nouveau. Cela existait déjà au 19e siècle, mais les raisons qui étaient données étaient alors bien différentes. A la place des justifications juridiques, rationnelles ou humanitaires ("c’est pour leur bien"), on trouve un aspect psychologique et une question économique :
- la chasse aux pauvres : on ne voit pas voir les pauvres, on ne veut pas en entendre parler
- la question de la propriété : les déchets alimentaires appartiennent à ceux qui les ont produits, c’est pour cela que les SDF récemment condamnés l’ont été pour "vol" ou pour "soustraction frauduleuse"
Proudhon disait que "la propriété, c’est le vol", pour dénoncer les méfaits du capitalisme (l’accumulation des richesses dans les mains d’un petit nombre). On pourrait aussi dire : "la propriété crée le vol". Ce que les grandes enseignes ne supportent pas, ce pourquoi elles mettent de la javel dans leurs poubelles, c’est l’existence d’une consommation sans échange monétaire, sans acte commercial. Ce que le capital déteste le plus, c’est l’idée de gratuité.
Les petits commerçants peuvent être atteints de la même fièvre consumériste : j’ai moi-même vu un boulanger jeter ses viennoiseries non vendues dans des poubelles, dans une cour à l’arrière de sa boutique. Dommage, car le SDF qui faisait la manche une rue plus loin aurait bien aimé qu’on lui donne de quoi manger...
Rappelons qu’aujourd’hui en France, 1 million de pauvre est inscrit aux Restaus du Cœur. Toutes les associations témoignes de la recrudescence de la pauvreté en France. Remercions-les de ne pas venir se servir directement dans nos assiettes...
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Ce monde est à nous, changeons-le !