Il s’agit de deux joueurs de dés, identique en deux points. Le premier : ils jouent aux jeux de rôles. Le second : ils obtiennent le résultat qu’ils désirent avec les dés. Mais cela ne marche que s’ils le désirent vraiment. Si, dans le jeu, leur vie presque en dépend.
Les dés utilisés dans les jeux ne sont pas seulement des dés normaux de 1 à 6, à 6 faces donc. Il y en a par exemple à 10 faces. Avec deux dés, on peut faire un jet sur 100 : le premier dé indique les dizaines, l’autre les unités.
Le premier des deux, appelons-le D., jette deux dés normaux (à 6 faces). Il fait un double-6 à volonté. Plus encore quand la tension de l’aventure l’y incite, mais il peut faire ce résultat, ou l’inverser, 2 (double-1), quand on lui demande. Mais dans ce dernier cas, il lui arrive parfois de rater.
Le second joueur, E., fait encore mieux : il obtient toujours des résultats inférieurs à 10. A condition que ça en vaille peine, qu’il soit pris dans le feu de l’action. L’un des dés, choisi à l’avance, fait donc toujours 0 ou 1. Quand il fait 1, le second ne fait jamais plus de 0. E. s’est aperçu que c’était plus facile en lançant les dés l’un après l’autre, mais ce n’est pas une règle.
D. pense que les probabilités n’expliquent rien ; E. pense qu’elles peuvent expliquer ses résultats. Une autre possibilité est qu’ils visent habilement de leur main, ou que ce soit leur inconscient qui vise pour eux (même si l’inconscient a bon dos !). L’hypothèse des dés pipés est à exclure : il s’agit de dés prêtés, et ce ne sont jamais les mêmes.
Cela est-il lié à la « chance » de ces deux individus ? Il s’avéra que D. et E. ont un autre point commun : ils n’ont pas beaucoup de chance dans la vie, en particulier ils n’en ont pas eu beaucoup dans leur enfance. Le premier vivait avait un père alcoolique (passons sur des détails), le second, tout aussi pauvre que le premier, ne voyait plus sa mère et passa une partie de son enfance dans un lit d’hôpital avec des tuyaux dans le ventre (à cause de graves problèmes intestinaux). Pourtant, l’un comme l’autre sont des gens foncièrement bons et généreux. D. est parfois nerveux, et E. est rarement content, mais ce n’est que du superficiel, de l’éphémère. Ils ont aussi beaucoup d’humour.
J’en ai appris un peu plus sur chacun d’eux. D. est très cultivé. Les problèmes familiaux et la manque d’argent l’ont empêché de poursuivre des études, mais il en avait tout à fait les capacités. Tout ce qu’il a appris, il le doit donc à lui-même. Il s’intéresse aussi à la métaphysique. Il croit en Dieu. Il s’est déjà intéressé à la magie noire, au vaudou, mais il a arrêté, voyant que ça ne marchait pas. C’est un dragueur impénitent. Il a pourtant une petite amie. Il travaille au noir, vit presque au jour le jour.
E. en croit pas en Dieu, mais croirait plutôt au Diable. Il aime faire des cauchemars horribles et adore les monstres. Il les collectionne d’ailleurs. Il aime les défis et les combats, pourtant il n’est pas du tout sportif. Il est juste grand et gros. Il n’a pas continué ses études, lui non plus. Aide de laboratoire de formation, il a l’esprit vif, mais il écrit très mal. C’est un gros handicap et il est depuis longtemps sans travail. Il est célibataire depuis toujours et ne recherche personne. Il est encore jeune. Pas vraiment de points communs, plutôt même en opposition sur certains points, parfois important sur des attitudes de vies. Mais globalement, ils appartiennent à la même catégorie sociale : celle des plus modestes, pour ne pas dire « défavorisés ».
D. et E. mènent aujourd’hui une vie normale.
E. est encore un cas particulier sur un point. Il a déjà vécu une expérience « anormale ». Il était au supermarché avec son cousin, ils faisaient des courses, quand, au moment de payer, il leur manque 5 centimes. Ce n’est pas que ce fut gênant, mais ça simplifiait beaucoup les calculs – et le temps – s’ils pouvaient sortir ces 5 centimes. Ils entendirent un bruit de pièce qui tombe. Il y a avait une pièce de 5 centimes devant eux. Comme si elle était tombé du plafond. Or, il n’y avait rien au plafond. On peut imaginer qu’un individu ayant entendu « Il vous manque 5 centimes » leur envoya 5 centimes puis s’en alla. Il aurait pourtant été plus simple de la donner en mains propres. E. et son cousin, encore plus sceptique que lui, utilisèrent la pièce et s’amusèrent de cette anecdote sans y porter plus d’attention.