Climat, pollution, crise économique, inégalités sociales, délocalisations, chômage, dettes nationales, pouvoir des banques et des multinationales, pression migratoire, perte de repères politiques, projets de société à courts termes, terrorisme, violences urbaines, famines, cynisme et nihilisme, tohu et bohu…
Les médias nous le répètent tous les jours, nous vivons dans une société du risque, nous nous y adaptons en nous repliant sur cela seul qui compte : l’amour d’un conjoint ou d’un enfant, le travail, la famille, la patrie, la religion, un loisir devenu passion, l’obsession d’un collectionneur, la montée d’adrénaline provoquée par l’achat compulsif ou un nouveau percing… le film ce soir à la télé. Nous adoptons un comportement désabusé pour survivre. Nous buvons et nous fumons, alors même que nous en connaissons les dangers pour notre santé et ceux qui nous entourent, mais qu’importe de mourir dans vingt, trente ou cents ans ?
Nous désirons vivre maintenant, parce que l’instant présent me protège contre toutes les incertitudes du devenir. Cet instant est le mien, j’en suis le maître. Au carrefour du passé et de l’avenir, je suis libre de choisir ma voie… ou de n’en choisir aucune. J’ai tout oublié, je suis tout excusé, je me suis déchargé du poids de l’histoire et de la tradition, je me suis éloigné des regards bienveillants de la mère et du père la morale, je suis au-delà du bien et du mal, je ne suis plus rien au moment où je suis moi-même.
Cette description ne concerne pas seulement le « jeune » toxicomane qui gage le reste de sa vie, son argent et ses amis contre quelques grammes de plaisir, mais aussi le conducteur qui accélère sur la route, le salarié qui travaille dans une centrale du nucléaire, le commercial qui vit sur ses mensonges, celui qui vole, qui omet, qui cache ou qui se cache, qui se ment à lui-même, qui refuse de se connaître lui-même.
Mais changer pourquoi et vers quoi ? Quelle raison avons-nous d’expier nos fautes et nous améliorer ? Qu’allons-nous faire de nous-mêmes, de cette vieille carcasse, de cette voiture d’occasion ? Qu’elle route prendre quand toutes les routes sont fléchées, balisées, enregistrées sur GPS, quand toutes les routes mènent à Rome et que seule Rome existe ? L’homme a besoin d’un projet de société.
Certes, la technologie, le marketing et l’économie font une course relai, les changements matériels sont de plus en plus rapides, mais la civilisation européenne, pour ne parler que d’elle, reste prisonnière de ses vieux schémas, gardée par ses vieux amants que sont la République, la démocratie, le libéralisme, le capitalisme, le socialisme, la liberté, l’égalité, la fraternité, la propriété privée et quelques autres idées.
Le monde entier n’est pas en meilleur état : entre les Etats-Unis qui n’en finissent pas de s’endetter et la Chine qui n’en finit pas de s’enrichir, entre les Arabes qui se haïssent et les Africains qui se massacrent pour ne pas se laisser mourir, il n’y a pas un pays qui ne puisse servir de modèle, d’eldorado vers lequel nous pourrions émigrer, de nouveau monde que nous pourrions coloniser. La fuite en avant nous est interdite. Nous hésitons aujourd’hui entre l’autodestruction et la décroissance.
Ce n’est pas seulement la civilisation européenne mais l’humanité entière qui a besoin d’un nouveau modèle, d’un nouveau paradigme. Sans quoi, nous serons condamnés à répéter les mêmes erreurs et à vivre de nouvelles guerres.
Ces guerres elles-mêmes en sont pas des « maux absolus », des tabous à éviter à tout prix, car les guerres permettent aussi de défendre son pays, ses alliés ou quelque idée plus noble (la France et l’Angleterre auraient-elles dues faire la guerre à l’Allemagne après que celle-ci eût envahi la Pologne ?). Mais les guerres dont je parle sont les conséquences d’une impasse, des résultats et non des solutions. Les guerres d’une civilisation sur la voie de la déchéance ne font que précipiter cette dernière, à la manière d’un château de carte qui s’écroule à la dernière carte posée. La tour de Babel n’est pas tombée avant d’avoir atteint le Ciel.
De quelle projet de société avons-nous besoin ? N’est-il pas présomptueux de poser cette question pour tous les peuples de la Terre ? Ne devrions-nous pas décliner cette question pour chacun d’eux ? En la divisant, nous l’affaiblissons, alors même que la finance, Internet, les problèmes écologiques et alimentaires sont mondialisés. Il ne faut pas seulement penser à une Europe politique ou à un gouvernement mondial, il faut penser à l’ensemble des phénomènes mondiaux sus-cités d’une manière cohérente et coordonnée.
Dans un système clos, comme celui de la planète, les lois de la thermodynamique s’appliquent. Ce qui se gagne à un endroit se perd dans l’autre (premier principe de la thermodynamique), mais surtout, ce qui se mélange finit pas s’uniformiser : l’énergie initiale se diffuse, ralentit et s’épuise - irréversiblement (deuxième principe de la thermodynamique). Or, la vie a trouvé le moyen de lutter contre l’entropie en se complexifiant, en économisant la chaleur (en regroupant les cellules dans un même organisme), en la produisant elle-même (les animaux à sang chaud, la maîtrise du feu), en améliorant son rendement (avec l’utilisation d’outils, par exemple).
L’univers lui-même se refroidit. Or, les lois de la physique expliquent comment les géantes gazeuses ont donné naissance aux étoiles et les étoiles aux systèmes solaires et aux atomes qui nous constituent. Dans ce cadre, l’apparition de la vie poursuit un processus bien plus ancien, qui a commencé avec le Big Bang. Les êtres vivants ne luttent pas seulement pour leur survie mais contre l’entropie. Des animaux multicellulaires aux animaux sociaux, le mouvement est le même. Les sociétés humaines sont les plus organisées de toutes les sociétés animales, car elles ont le pouvoir de modifier leur environnement et de transformer ce qui les entoure en sources d’énergie : les plantes et les animaux, mais aussi le bois, le gaz, le pétrole, l’uranium et l’énergie solaire… Ces ressources sont de plus en plus nombreuses et de mieux en mieux exploitées, car l’homme en a besoin pour s’émanciper de la sélection naturelle qui prévaut dans l’état de nature - une forme de l‘entropie. Sans elles, l’espèce humaine serait restée une espèce parmi les autres, vivant de chasses et de cueillettes, fuyant les animaux plus gros que lui et ne voyant pas ses enfants se multiplier au-delà de ce que lui permettent ses ressources, ses prédateurs et les épidémies. Pensons aux tribus d’Amazonie, aux aborigènes d’Australie, aux Inuits du Groënland ou de Sibérie. Ces peuples sont parfaitement adaptés à leur environnement, ils respectent la nature et pratiquent un mode de vie inchangé depuis des centaines d’années.
Le surcroît d’énergie, l’homme l’utilise pour alimenter son cerveau, produire des idées, de la culture, modifier son comportement et découvrir de nouvelles sources d’énergie. Son pouvoir, il peut l’exercer contre ses congénères ou contre la planète, mais telle n’est pas sa finalité. Le feu brûle mais éclaire aussi les ténèbres. Ce qui amène l’homme à être l’espèce dominante sur la planète peut aussi l’amener à améliorer la vie sur terre, à créer sur Terre une paradis ou à créer de nouvelles Terres ailleurs, dans l’espace. L’entropie condamne notre Soleil à mourir et la Terre à disparaître. Il semble donc que c’est vers la troisième solution que devra se tourner l’humanité - tôt ou tard.
Aujourd’hui, que pouvons-nous faire ou que devons-nous faire ? Premièrement, croire que nous pouvons changer de monde. Deuxièmement, recenser nos compétences et nos qualités. Troisièmement, trouver des hommes et des femmes avec lesquels nous pouvons travailler. Pour quel travail ? D’abord, diffuser des idées, car les idées sont autant de graines. Ensuite, créer des associations, des sociétés ou des structures qui permettent d’accueillir les bonnes volontés et de transformer ces idées en actes. Dans un premier temps, le nombre et la taille ne sont pas importants, mais il faudra toujours voir plus grand, au risque d’être traités de mythomanes ou de révolutionnaires. Ce n’est qu’à cette condition que le monde que nous connaissons se terminera enfin.