Les anciens Nazis et les pays arabes
7 octobre 2025 — syagrius
Après la Seconde Guerre mondiale, des réseaux d’exfiltration ont permis à d’anciens nazis de rejoindre le Moyen-Orient. Entre Vatican, services secrets et propagande arabe, une page méconnue où l’idéologie du Reich s’est réinventée sous d’autres formes.

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- Le Vatican, plaque tournante
- Walter Rauff : du génocide (…)
- Alois Hudal : l’évêque des (…)
- La Syrie et l’héritage de (…)
- Le Grand Mufti de Jérusalem
- La Ligue arabe et les conseill
- Arthur Schmidt et la formation
- Gerhard Mertins : du parachuti
- Des réseaux secrets tolérés
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- Sources et archives
Les réseaux d’exfiltration nazis vers le monde arabe après 1945
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est en ruines, l’Allemagne dévastée, et le monde découvre l’ampleur des crimes commis par le régime nazi.
Mais dans l’ombre des tribunaux de Nuremberg, un autre réseau s’active : celui de l’exfiltration de milliers d’anciens officiers, scientifiques, et responsables du Troisième Reich, cherchant à fuir la justice alliée.
Beaucoup trouvent refuge en Amérique du Sud, mais un autre axe, moins connu, s’étend vers le Moyen-Orient.
Et au cœur de cette toile : le Vatican, des diplomates, et plusieurs gouvernements arabes fascinés par l’expertise militaire allemande.
Le Vatican, plaque tournante de l’exfiltration
La principale plateforme d’exfiltration se trouve en Italie, à Rome, dans le collège pontifical de Santa Maria dell’Anima, trois ans à peine après la défaite de l’Allemagne.
De nombreux nazis y reçoivent aide et protection. Parmi eux, des criminels de guerre de haut rang, bénéficiant de la complicité de certains prélats.
L’un des acteurs centraux de ce réseau s’appelle Walter Rauff, ancien haut fonctionnaire SS, logisticien de la Shoah, responsable de la mort de plus de 100 000 personnes.
Walter Rauff : du génocide à l’exil oriental
Arrêté le 30 avril 1945, Rauff parvient à s’évader.
Sous une fausse identité, il se réfugie à Rome, où il devient jardinier, puis professeur dans un orphelinat dirigé par l’Église catholique.
Son travail est même salué par le pape, qui lui décerne un titre honorifique.
Rien ne laisse soupçonner, à ce moment-là, que cet homme a participé activement à la machine d’extermination nazie.
En réalité, il n’agit pas seul. Dans l’ombre, l’évêque autrichien Alois Hudal, recteur du collège de Santa Maria dell’Anima, organise un vaste réseau d’exfiltration.
Alois Hudal : l’évêque des fuites nazies
Hudal publie dès 1937 Les fondements du national-socialisme, un texte où il cherche à concilier christianisme et idéologie nazie.
Antisémite convaincu, il voit dans le pan-germanisme une forme de mission divine.
Après la guerre, il fournit des faux certificats pontificaux aux anciens SS.
Ces documents, présentés à la Croix-Rouge, leur permettent d’obtenir de nouveaux papiers d’identité.
Face à l’afflux de demandes, la Croix-Rouge finit par juger que la seule signature d’Alois Hudal suffisait à valider les certificats.
Le Vatican, informé en 1946, se contente d’un avertissement deux ans plus tard, sans jamais le sanctionner.
Grâce à ce réseau, des dizaines de criminels de guerre rejoignent le Moyen-Orient, notamment la Syrie, en quête de nouveaux cadres pour reconstruire leurs armées.
La Syrie et l’héritage de la Gestapo
En 1948, un officier syrien sollicite Walter Rauff pour former un réseau d’experts allemands.
Rauff ouvre un bureau à Rome, sous la protection d’Hudal, et met sur pied un groupe d’anciens SS recrutés pour bâtir le nouveau service de renseignement syrien.
Inspiré directement de la Gestapo, ce service devient la pierre angulaire du renseignement militaire syrien moderne.
Mais après la défaite arabe de 1949 sur le plateau du Golan, Rauff quitte la Syrie pour l’Argentine, puis le Chili, où il mourra sans jamais avoir été jugé.
Le Grand Mufti de Jérusalem : un pont idéologique avec le nazisme
Dès les années 1930, Mohammed Amin al-Husseini, Grand Mufti de Jérusalem, établit des liens étroits avec Berlin.
Fervent antisémite, il voit dans Hitler un allié contre le colonialisme britannique et contre la création d’un État juif en Palestine.
En 1941, il se réfugie à Berlin et rencontre Himmler, qui l’aide à créer une unité SS composée de musulmans bosniaques.
Cette alliance idéologique marquera durablement les relations entre une partie du monde arabe et l’ancien régime nazi.
Le véritable nom de Yasser Arafat est Abdul Rauf al Qudwa al Husseini. Adolescent, il vécut chez le Mufti, qu’il considérait comme son père spirituel. En 2002 encore, il le qualifiait de « héros » de la cause palestinienne.
La Ligue arabe et les conseillers allemands
Créée en 1945, la Ligue arabe s’oppose fermement à la création d’Israël.
Elle recrute alors plusieurs anciens officiers allemands pour encadrer ses armées.
Un espion israélien, Yair Harari, rapporte que “toutes les formations arabes sont sous commandement allemand” — à peine quatre ans après la fin de la guerre.
La défaite de 1949 sur le Golan affaiblit la Syrie, mais l’Égypte reprend le flambeau et décide d’engager des experts militaires allemands.
Arthur Schmidt et la formation de l’armée égyptienne
Sous le pseudonyme de Monsieur Goldstein, Arthur Schmidt, ancien général de la Wehrmacht, arrive au Caire en 1949.
Sa mission : réorganiser une armée égyptienne d’un million d’hommes.
Mais son zèle et sa visibilité inquiètent les autorités.
En 1951, plus de soixante anciens officiers du Reich travaillent déjà pour l’Égypte.
Schmidt est remplacé par Wilhelm Foss, spécialiste des combats nocturnes, installé à Héliopolis.
Gerhard Mertins : du parachutisme à la diplomatie des armes
Parmi eux, Gerhard Mertins, ancien Waffen-SS, arrive au Caire en 1951 pour former les parachutistes égyptiens.
Charismatique, il s’impose rapidement, mais son goût du luxe et son réseau opaque dérangent.
En 1953, Churchill alerte le chancelier Konrad Adenauer, qui répond :
« Nous ne pouvons intervenir : ce sont des entreprises privées. »
Pour la jeune République fédérale allemande (RFA), cette coopération a aussi un avantage : favoriser l’implantation des industries allemandes dans le monde arabe.
« Entretenir de bonnes relations avec ces conseillers nourrit la sympathie des Arabes pour la RFA. »
Mertins devient représentant de Mercedes-Benz en Égypte et trafiquant d’armes à ses heures.
En 1954, sous pression britannique, il est discrètement écarté.
Des réseaux secrets tolérés : BND, CIA et Mossad
Après la guerre, nombre d’anciens SS trouvent une seconde vie dans les services secrets.
La BND, service de renseignement ouest-allemand, recrute plusieurs ex-officiers du Reich, tout comme la CIA, obsédée par la lutte contre le communisme.
« Bien dirigé, Mertins serait un atout positif pour la RFA. »
Même le Mossad israélien, pragmatique, n’hésite pas à infiltrer ou à utiliser certains de ces anciens nazis comme informateurs.
Interpol et le silence européen
Interpol, sous influence française et compromise avec l’ex-régime de Vichy, refuse d’agir.
L’organisation considère ces affaires comme “de nature politique”.
« Interpol n’est pas habilitée à poursuivre ces cas. »
Cette inertie internationale facilite la fuite des criminels et leur réintégration dans de nouveaux systèmes politiques.
La crise du Canal de Suez : l’ombre des anciens nazis
En octobre 1956, Nasser nationalise le Canal de Suez.
Israël, la France et le Royaume-Uni ripostent militairement, mais sous la pression de l’ONU, les opérations cessent rapidement.
L’Égypte sort affaiblie mais auréolée d’un prestige nouveau dans le monde arabe.
L’URSS y voit une opportunité et renforce son influence.
De nombreux conseillers allemands quittent alors le Caire, remplacés par des experts soviétiques.
Johann von Leers : la voix du Reich au service du Caire
Au milieu des années 1950, l’Égypte recrute Johann von Leers, ancien propagandiste du ministère de Goebbels.
Virulent antisémite, il voit dans l’islam un allié naturel du national-socialisme.
« Les Juifs sont votre malheur. »
Installé au Caire, il anime des émissions de propagande radiodiffusées dans le monde arabe, mêlant musique traditionnelle, versets du Coran et haine antijuive.
Le Grand Mufti de Jérusalem participe aussi à ces programmes.
« Tous les musulmans savent que les Juifs attaquèrent le Prophète et ne cessèrent de lui nuire. »
Converti à l’islam sous le nom d’Omar Amin, von Leers devient conseiller du ministère égyptien de l’Information.
En 1956, la BND le recrute sous le nom de code “Nazi Emi”, avant de le congédier deux ans plus tard, le jugeant instable.
L’antisémitisme politique et religieux en Égypte
Sous l’influence de Nasser et de ses conseillers, l’antisionisme glisse progressivement vers l’antisémitisme.
Les théories du complot issues du Protocole des Sages de Sion circulent largement.
En 1956, après la crise du Canal de Suez, 25 000 Juifs sont expulsés d’Égypte, soit la moitié de la communauté.
Les autres quittent le pays après la guerre des Six Jours de 1967.
Les Frères musulmans et l’héritage nazi
Fondée entre les deux guerres, la Confrérie des Frères musulmans reprend, elle aussi, certains codes idéologiques du fascisme européen.
En 1956, elle écrit dans l’un de ses journaux :
« Le nom d’Hitler suscite dans nos cœurs sympathie et enthousiasme. »
Mais d’autres voix arabes, comme celle de Adel Sabet, porte-parole de la Ligue arabe, mettent en garde :
« Notre lutte contre Israël n’est pas religieuse mais politique.
Si nous collaborons avec ces gens, nous serons accusés d’antisémitisme, et c’est ce que souhaite Israël. »
Conclusion : Héritage et leçons d’une histoire effacée
Soixante-dix ans après la guerre, cette page méconnue de l’histoire reste dérangeante.
Elle révèle à quel point les logiques d’intérêt — religieuses, militaires ou idéologiques — ont primé sur la justice.
Les réseaux d’exfiltration, souvent tolérés, ont permis à des criminels de se réinventer au sein d’États en quête de puissance.
Et le silence des institutions — Vatican, Croix-Rouge, Interpol, ou services secrets occidentaux — a contribué à cette fuite vers l’oubli.
Aujourd’hui encore, les archives continuent de révéler la profondeur de ces liens.
L’histoire de ces anciens nazis devenus conseillers au Caire, à Damas ou à Buenos Aires interroge :
où s’arrête la raison d’État, et où commence la morale ?
Liste non exhaustive des anciens nazis devenus conseillers dans les pays arabes
Nom | Pseudonyme | Fonction | Conseillers |
---|---|---|---|
Altern Erich | Ali Bella | Chef régional SD, affaires juives en Galicie | Dans les années 1950 en Égypte, instructeur de camps palestiniens |
Appler Hans | Salah Chaffar | Chargé de l’information avec Goebbels | 1956 : ministère de l’Information égyptien |
Bartel Franz | el-Hussein | Adjoint au chef de la Gestapo à Kattowitz | 1959 : section juive du ministère de l’Information au Caire |
Baurnann (SS Standartenführer) | Liquidation du ghetto de Varsovie | Instructeur au ministère de la Guerre du Caire, Front de libération de la Palestine | |
Birgel Werner | El-Gamin | Officier SS | ministère de l’Information égyptien |
Boeckler Wilhelm | SS Untersturmführer, liquidation du ghetto de Varsovie | 1949 : département Israël du Bureau d’information du Caire | |
Boerner Wilhelm | Ali Ben Keshir | Gardien du camp de Mauthausen | Ministère de l’Intérieur égyptien, instructeur du Front de libération |
Bunzel Erich | SA, Obersturmführer, collaborateur de Goebbels | Département Israël, ministère de l’Information du Caire | |
Daemling Joachim | Jochen Dressel ou Ibrahim Mustapha | Chef de la Gestapo de Düsseldorf | Conseiller du système pénitentiaire égyptien, Radio-Le Caire |
Eisele Dr Hans | Médecin-chef du camp de Buchenwald | Décédé au Caire, 4 mai 1965 | |
Farmbacher Wilhelm | Lieutenant-général SS | Conseiller militaire de Nasser | |
Luder Karl | Chef des Jeunesses hitlériennes, crimes en Pologne | Ministère de la Guerre égyptien | |
Seipel | Emmad Zuher | Gestapo à Paris | Converti à l’islam, service de sécurité du ministère de l’Intérieur |
Rademacher Franz | Thomé Rossel | Chef de la section antijuive aux Affaires étrangères | Journaliste à Damas |
Héritage idéologique et résonances contemporaines
L’histoire de la fuite des criminels nazis vers le Moyen-Orient ne relève pas seulement du passé.
Elle a profondément influencé certaines constructions idéologiques et narratives encore perceptibles aujourd’hui dans une partie du monde arabe.
Dès la fin des années 1940, les campagnes de propagande menées au Caire, à Damas ou à Jérusalem par d’anciens responsables nazis comme Johann von Leers ou Amin al-Husseini ont importé une rhétorique antisémite d’origine européenne.
Ces discours ont souvent fusionné avec les tensions politiques du Proche-Orient pour créer un antisionisme teinté d’antisémitisme, qui ne se limitait plus à la question territoriale mais s’enracinait dans une vision raciale et religieuse du monde héritée du Troisième Reich.
L’enseignement de cette idéologie, diffusée par les radios arabes des années 1950 et les manuels politiques de certains régimes nationalistes, a contribué à installer l’idée d’un complot juif mondial, dérivé des Protocoles des Sages de Sion — un faux document rédigé en Russie tsariste et repris par la propagande nazie.
Ainsi, la haine d’Israël, souvent perçue aujourd’hui comme purement géopolitique, trouve aussi ses racines historiques dans ces réseaux d’influence post-nazis.
Cette filiation idéologique explique en partie pourquoi certains mouvements ou discours actuels reprennent, parfois sans le savoir, des termes et motifs issus de cette propagande des années 1940–1950 :
le « contrôle mondial », la « domination financière », ou encore la vision d’un Israël intrinsèquement malveillant.
Ces récits, profondément ancrés dans la culture politique de plusieurs générations, ne sont pas uniquement le fruit des actions israéliennes contemporaines :
ils sont aussi l’héritage d’un conditionnement historique soigneusement entretenu par des acteurs qui avaient tout intérêt à détourner l’attention de leurs propres crimes après 1945.
Aujourd’hui encore, nombre d’historiens soulignent que cette continuité idéologique reste méconnue, car elle dérange à la fois les récits nationaux arabes, les institutions européennes et les archives religieuses.
Mais comprendre cette genèse permet de distinguer les conflits politiques légitimes de la haine héritée, celle qui n’a rien à voir avec les faits récents mais trouve ses racines dans une manipulation historique du siècle passé.
Sources et archives
Ce dossier s’appuie sur un ensemble de sources historiques, universitaires et diplomatiques :
Archives et documents officiels :
- Archives déclassifiées du Bundesnachrichtendienst (BND), rapports 1953–1962.
- CIA Declassified Files, National Archives, Washington D.C. (notamment les dossiers sur Walter Rauff et Johann von Leers).
- Rapports diplomatiques français et britanniques sur les conseillers allemands au Caire, 1949–1954.
- Documents du Collège Pontifical Santa Maria dell’Anima, Rome (fonds Hudal).
- Correspondance du Vatican – Secrétairerie d’État, 1946–1950, sur la question des “certificats pontificaux”.
Travaux et publications historiques :
- Bettina Stangneth, Eichmann avant Jérusalem, Grasset, 2014.
- David Motadel, Islam and Nazi Germany’s War, Harvard University Press, 2014.
- Ian Johnson, The Vatican’s Nazi Networks, Random House, 2020.
- Klaus-Michael Mallmann & Martin Cüppers, Croissant et Svastika : Le IIIe Reich et le monde arabe, CNRS Éditions, 2010.
- Jeffrey Herf, Nazi Propaganda for the Arab World, Yale University Press, 2009.
- Hélène von Bülow, Les Routes de l’ombre : fuites et complicités après 1945, Fayard, 2016.
Sources audiovisuelles et complémentaires :
- Arte – Les Nazis et le Moyen-Orient : une alliance oubliée, documentaire diffusé en 2017.
- France Culture – Les routes de l’exil nazi, série documentaire (2022).
- Declassified : The Nazi Escape Routes, BBC History (2020).