Symbolique du serpent

25 février 2025 — syagrius

C’est au Moyen-Age surtout que la condamnation du serpent va prendre une importance théologique. Les textes sacrés de la chrétienté ont encore l’ambiguïté des sociétés antiques dans lesquelles ils s’enracinent.

 C’est au Moyen Âge

C’est au Moyen Âge que la condamnation du serpent acquiert une importance théologique centrale. Les textes sacrés de la chrétienté héritent encore de l’ambiguïté du monde antique, où le serpent symbolisait tout à la fois la sagesse et la transgression. En cherchant à refonder le rapport entre l’homme, la nature et le divin, le christianisme médiéval hérite de ce symbole ambivalent et le transforme en figure du Mal absolu.

 La Bible

La Bible évoque la « sagesse du serpent » et, paradoxalement, c’est un serpent d’airain que Moïse dresse pour sauver le peuple d’Israël, frappé par des serpents sauvages. Ce serpent de bronze, œuvre humaine, domestiquée, symbolise la connaissance maîtrisée, le désir discipliné, la raison triomphante sur les pulsions indomptées. Mais au Moyen Âge, l’accent n’est plus mis sur le serpent rédempteur de Moïse, mais sur celui d’Ève : instrument de la Chute, symbole du désir corrupteur, condamné à ramper et à dévorer la poussière. Il devient la figure même du vice, de la luxure et du Démon.

Les sectes gnostiques, comme les Ophites ou les Naasènes (du grec ophis et de l’hébreu nahash, « serpent »), voyaient dans le Serpent le messager d’un dieu inconnu, antérieur à Yahvé, chargé de révéler à l’homme la connaissance cachée. Pour eux, Sophia (la Sagesse divine) aurait envoyé le Serpent afin de libérer l’humanité de l’ignorance imposée par un dieu jaloux et dominateur. Mais l’orthodoxie chrétienne condamna ces courants comme hérétiques, et avec eux disparut toute tentative de réhabiliter la symbolique du serpent. Ce dernier devint, dans l’imaginaire occidental, l’incarnation du mal, de la tentation et de la chair dévoyée.

Il est pourtant intéressant de remarquer que cette phobie du serpent, souvent présentée comme naturelle et universelle, ne s’est imposée que tardivement, au prix d’une longue répression culturelle et religieuse. Dans d’autres traditions, le serpent demeure un intermédiaire sacré entre les mondes, symbole de savoir et de régénération.

 Ambivalence du serpent

Ainsi, la dualité fondamentale du serpent — destructeur et guérisseur, mortel et fertilisant — fut progressivement effacée au profit de son image démoniaque. En refoulant le serpent, notre civilisation a relégué au second plan les forces de la vie archaïque : le désir, la fécondité, la cyclicité, et l’ombre du sacré.

Chez les Grecs, la langue du serpent apposée sur le front de Cassandre, d’Hélénos ou de Mélampous symbolisait la clairvoyance et l’inspiration prophétique. Aujourd’hui, la « langue de vipère » n’évoque plus que la perfidie. Ce renversement sémantique illustre le passage d’une civilisation intégrant l’instinct à une culture cherchant à le dominer.

 Naissance du Dragon

Le dragon naît de cette tension entre fascination et crainte. Il représente la synthèse du serpent et de l’oiseau, du terrestre et de l’aérien, du chthonien et du céleste. Cette hybridité explique sa présence universelle, depuis la Chine ancienne jusqu’à la Scandinavie médiévale, en passant par la Mésopotamie et l’Inde védique.

 Origines mésopotamiennes et proche-orientales

La plus ancienne figure draconique connue est celle de Tiamat, déesse babylonienne des eaux primordiales, mère des dieux, décrite dans l’Enuma Elish comme un monstre marin serpentiforme. Son combat contre Marduk représente la victoire du cosmos sur le chaos. Cette opposition fonde le mythe de la lutte ordonnatrice, qu’on retrouve dans les récits ultérieurs de Saint Michel, de Sigurd ou de Saint Georges.

En Syrie antique, le dieu Baal combat Lotan (ancêtre du Léviathan biblique), un serpent marin à sept têtes. Dans ces récits, le dragon incarne toujours les forces du désordre primitif que le dieu guerrier ou solaire doit vaincre pour instaurer l’ordre du monde. Le dragon est donc, à l’origine, moins le mal que le chaos créateur, la matrice indifférenciée de la vie.

 L’Inde et le dragon des eaux

Dans la mythologie védique, le serpent-dragon Vritra (ou Ahi) retient les eaux dans son ventre, provoquant la sécheresse. Le dieu Indra le terrasse à coups de foudre, libérant ainsi les fleuves et la fertilité du monde. Cette scène cosmogonique, décrivant la victoire de l’ordre céleste sur le chaos aquatique, reprend la même structure que le combat de Marduk et Tiamat. Pourtant, dans l’hindouisme ultérieur, le serpent reprend une valeur positive : Shesha, le serpent cosmique, soutient le monde sur ses anneaux ; Kundalini, le serpent intérieur, symbolise l’énergie vitale lovée à la base de la colonne vertébrale.

 La Chine et le Japon : dragons de vie

En Chine, le dragon (Long) est un symbole de puissance bénéfique, maître des pluies et des saisons. Il associe des éléments du serpent, du poisson, du cerf et de l’aigle : c’est un être composite, symbole de transformation et d’équilibre entre les cinq éléments. Le dragon chinois n’est pas un ennemi de l’homme : il incarne la force vitale du monde. Son vol sinueux évoque la montée du souffle (Qi), principe de la vie et de l’ordre cosmique. De même, au Japon, le Ryū garde les trésors sacrés et les eaux fécondantes. Dans le bouddhisme, il devient protecteur de la Loi, gardien du Dharma.

 Le monde nordique et occidental

Dans la mythologie nordique, le dragon Níðhöggr ronge les racines d’Yggdrasil, l’arbre du monde. Il représente la force de décomposition nécessaire à la régénération. Fafnir, autre dragon du Volsunga Saga, fut un nain transformé par la cupidité — symbolisant le pouvoir corrupteur de l’or et du désir de possession. Là encore, le dragon garde le trésor, non pour le détruire, mais pour éprouver celui qui cherche à s’en emparer.

En Europe médiévale, le dragon devient l’image du Diable, de la Bête de l’Apocalypse, adversaire des saints et des chevaliers. Pourtant, derrière le mythe du monstre terrassé, on retrouve le même schéma initiatique : affronter le dragon, c’est affronter ses propres ténèbres intérieures, dompter les forces de l’instinct et accéder à la lumière spirituelle.

 Le Dragon : étymologie et fonctions

Le mot « dragon » vient du grec drakon, dérivé de derkomai, « regarder fixement ». Le dragon est donc le Gardien par excellence : celui qui veille, qui sait, qui interdit l’accès au sacré tant que le héros n’est pas digne de le contempler. Cette fonction de gardien se retrouve dans les récits du monde entier : gardien de la Toison d’or, du Jardin des Hespérides, de la Perle chinoise ou de la Pierre philosophale.

1. Le dragon possède un caractère reptilien, signe de sa nature chtonienne, enracinée dans la Terre et les profondeurs.
2. Il est toujours gigantesque : image démesurée du pouvoir et de la peur, incarnation du sacré redoutable (tremendum) dont parlait Rudolf Otto.

 Cryptozoologie et archétypes

Des chercheurs comme Richard Greenwell, de la Société internationale de cryptozoologie, ont suggéré que le mythe du dragon pourrait provenir de la découverte de fossiles de dinosaures ou de ptérosaures. Ces ossements géants, trouvés par les peuples anciens, auraient nourri l’imagination mythologique. Mais au-delà des hypothèses naturalistes, la permanence du dragon dans l’imaginaire humain semble indiquer une structure symbolique universelle, un archétype du chaos vital que l’homme tente d’apprivoiser.

 Alchimie et symbolique de l’union des contraires

L’alchimie médiévale fit du dragon le symbole majeur de la materia prima, la matière première de l’Œuvre. Fulcanelli écrit : « Les deux dragons hermétiques, l’un ailé et l’autre aptère, sont les principes de la philosophie : le fixe et le volatil, le soufre et le mercure. » Le dragon vert et le dragon rouge, unis dans la lutte, représentent la transformation intérieure de l’alchimiste : la conquête de la lumière par la domination des ténèbres intérieures. Terrasser le dragon, c’est purifier la matière, mais aussi soi-même.

 Quetzalcoatl et les serpents du Nouveau Monde

En Mésoamérique, Quetzalcoatl, le serpent à plumes, incarne le héros civilisateur, inventeur de l’agriculture, de l’écriture et des arts. Symbole du souffle divin et du renouveau, il s’oppose au dieu nocturne Tezcatlipoca. Son exil mythique et son retour prophétisé donnèrent lieu à la tragique méprise des Aztèques face aux conquistadors, croyant voir en Cortés le dieu revenu. Le serpent ailé, ici encore, réunit terre et ciel, matière et esprit, mort et renaissance.

 Conclusion

De Tiamat à Quetzalcoatl, du Long chinois à Fafnir, le dragon incarne partout la même tension entre chaos et ordre, destruction et création, instinct et raison. Il est à la fois le gardien du seuil et l’épreuve initiatique, le symbole du pouvoir, de la connaissance et de la transmutation. Son retour massif dans la fantasy et la culture populaire contemporaine traduit moins une nostalgie du mythe qu’une nécessité anthropologique : celle de renouer avec le monstre intérieur, d’affronter le chaos pour retrouver le sens du sacré.