Je suis tombé sur un petit livre étrange, le Carnet rouge de l’écrivain Paul Auster (la Trilogie New Yorkaise, Vertigo, l’Art de la faim, l’Invention de la solitude, Chronique d’hiver...).. Entre journal intime et journal d’écrivain, la 4 de couverture m’a tout de suite intrigué :
Le carnet rouge existe bel et bien. Depuis des années, Paul Auster y consigne des évènements bizarres, coïncidences, étrangetés et autres invraisemblances dont il fut un jour victime, confident ou témoin. En anecdotes de quelques pages, parfois seulement de quelques paragraphes, on peut y lire treize nouvelles archi brèves où il se révèle un collectionneur passionné (et un rien inquiet) des bons et mauvais tours que lui a réservés la réalité. Ce florilège, Paul Auster le désigne volontiers comme son " art poétique sans théorie ". Et à la vérité, on y entend avec une netteté parfaite la fameuse " musique du hasard ". Voici donc, à tirage limité, réservé aux connaisseurs, un authentique carnet qui est aussi une fascinante miniature de l’univers austérien.
Un exemple de coïncidence ? Feuilletons un peu ce livre...
Dans un passage, il nous raconte l’histoire d’un ami à Paris. L’histoire se passe dans les années 90. De visite chez un ami et sa fille, il voit un minitel et rentre à tout hasard l’adresse de son père qu’il n’a pas vu depuis qu’il était tout petit. Il apprend que son père vit à Lyon. Il prend l’adresse et lui écrit une lettre, un peu prudente, car sa mère lui avait expliqué que son père était un homme abominable qui les avait abandonnés. Il en parle à une amie psychanalyste qui lu demande quel âge avec la fille de son amie :
3 ans et demi
Je peux me tromper, mais c’est sans doute l’âge à laquelle ton père est parti.
Il reçoit une lettre de son père plutôt encourageante. Qui plus est, cette lettre lui arrive le jour de son anniversaire ! Ils continuent leur discussion par courrier interposé plusieurs semaines. Finalement, ils s’appellent et prévoient de se voir prochainement. Le fils doit aller voir son père à Lyon. Or, la veille du départ, il reçoit un appel de la nouvelle femme de son père : il est décédé dans la nuit. L’homme accuse le coup. Il descendra ensuite à Lyon pour discuter avec elle.
Il apprendra ainsi que, selon son père, c’était sa mère qui était partie avec lui à 3 ans et demi, comme l’avait deviné la psychanalyste. Une toute autre version des faits qui le perturbe profondément. Nouvelle coïncidence : son père a eu une crise cardiaque le jour où son fils avait envoyé la première lettre à la Poste. On ne peut pas imputer de cause à effet puisqu’il ne l’avait pas encore reçu. Il était à l’hôpital quand il avait reçu sa lettre. La deuxième crise fut fatale.
Paul Auster et sa femme Siri Hustevdt
Etrange enchaînement d’événements où apparaît une double coïncidence (la première lettre et la crise cardiaque ; la réponse et le jour de l’anniversaire) et une certaine ironie de l’histoire. Par ailleurs, l’homme aurait-il entreprise d’écrire à son père avant sa mort s’il n’était pas allé chez un ami possédant un minitel et une fille de 3 ans et demi ? N’est-ce pas une troisième coïncidence ?
Le monde est étrange, vous ne trouvez pas ?