L’histoire des sciences est parsemée d’un grand nombre de faits étonnants mais aussi d’énigmes qui n’ont pas encore été résolues...
L’histoire du satellite de Vénus est parmi les plus connues des énigmes astronomiques. Chacun sait aujourd’hui, et l’astronautique y est pour quelque chose, que Vénus ne peut être comparée au couple planète-satellite que forment la Terre et la Lune. Il fut pourtant une époque où les astronomes partageaient une opinion contraire. L’histoire du satellite de Vénus mérite donc d’être contée.
C’est le 11 novembre 1645 que l’astronome napolitain Fontana signala pour la première fois l’existence d’un satellite vénusien.
Selon cet observateur qui avait déjà découvert les bandes de Jupiter, les taches de Vénus et la rotation de Mars, l’objet était situé au centre du croissant de Vénus. Il fallut pourtant attendre plus d’un quart de siècle avant que le mystérieux satellite fit sa réapparition dans les annales astronomiques. C’est en effet le 24 janvier 1672 que Cassini, de Paris, l’observa à l’ouest de la planète.
Cet astronome de bonne réputation qui avait découvert quatre lunes de Saturne dut cependant attendre jusqu’au 27 août 1686 avant de revoir l’objet qui avait alors un diamètre équivalent au quart de celui de Vénus. Durant la longue période de temps qui sépara ces deux observations, nul n’aperçut l’objet, ce qui ne manqua pas de surprendre les spécialistes de l’époque. L’énigme ne faisait pourtant que commencer.
Pendant plus d’un demi-siècle, plus personne ne signala le mystérieux objet qu’on commença à considérer comme une illusion à laquelle s’étaient laissés prendre deux astronomes pourtant très compétents.
Néanmoins, le 2 novembre 1740, Short, de Londres, aperçut le satellite. Il se situait à l’ouest de la planète et avait la même phase qu’elle. Ses contours étaient bien définis. Short, méfiant, changea d’oculaire afin de vérifier si l’objet n’était pas une illusion. Ce dernier resta visible.
Cet astronome était considéré comme le plus habile opticien de son époque ; il construisait lui-même ses instruments et on lui devait des mesures micrométriques très précises. Admettre que Short avait été victime d’une illusion était difficile. C’est pourquoi le satellite vénusien suscita de la part des observateurs un regain d’intérêt.
L’enthousiasme dut être de courte durée car l’objet attendit près de vingt ans pour apparaître à nouveau. Ce fut le 20 mai 1759 que Mayer, de Greifswald, eut le plaisir de le revoir.
Nul autre observateur, hélas, ne put corroborer cette observation, pas plus que la seconde que le même observateur fit le 10 février 1761. Entre-temps, une fois encore, personne ne vit l’objet. Cette dernière observation marqua pourtant un tournant dans l’histoire de la découverte du mystérieux objet. En effet, alors que jusque-là ce satellite présumé n’avait fait que de brèves apparitions séparées par de longs intervalles de temps, il révéla subitement sa présence un grand nombre de fois, et ce, en peu de temps. Puis, après ces dernières convulsions, il disparut pour toujours...
Vingt-quatre heures exactement après la dernière observation de Mayer, soit le 11 février 1761 à 7 heures, Lagrange, de Marseille, signala l’objet.
Il le vit encore le lendemain, toujours à la même heure. Moins de trois mois plus tard, les 3, 4, 7 et 11 mai, Montagne, qui habitait Limoges, eut le privilège d’étudier son déplacement autour de la planète. Le 3, l’objet était sous Vénus. Le 4, il s’était déplacé à droite. Le 5 et le 6, le temps fut défavorable. Le 7, les nuages se dissipèrent et l’astronome put voir l’objet à droite de la planète. Il avait la même phase qu’elle. Le temps fut à nouveau défavorable jusqu’au 11, date à laquelle une nouvelle observation fut encore possible. Selon Montagne, la trajectoire de l’objet paraissait elliptique et on pouvait tenir pour certain qu’il présentait toujours la même phase que Vénus. Chose qui n’avait encore jamais été faite jusque-là, l’objet avait pu être isolé dans le champs du télescope. Toutes possibilités de reflets et d’illusions paraissaient donc exclues en la circonstance.
Cette remarquable suite d’observations provoqua-t-elle de la part des astronomes un engouement subit pour l’étude de Vénus ?
Toujours est-il qu’une cascade d’observations déferla bientôt. Le 6 juin, ce fut Scheuten, de Crefeld, qui affirma avoir vu l’objet au centre du Soleil. Ensuite, ce fut Roedkier de Copenhague qui effectua une série impressionnante de dix observations. Les trois premières datent des 28, 29 et 30 juin 1761, soit moins de deux mois après la dernière observation de Montagne. Elles furent suivies par une autre le 18 juillet et quatre autres en août, respectivement les 4, 7, 11 et 12. Enfin, Roedkier aperçut encore l’objet par deux fois deux ans et demie environ plus tard, les 3 et 4 mars 1764.
Cette impressionnante série d’observations n’eut, hélas, pour seul auteur que l’astronome Roedkier. Les 9, 10 et 11 mars suivants, pourtant, ses collègues de Copenhague virent également l’objet, chaque fois dans une position différente.
Ainsi était porté à treize le nombre d’observations faites à Copenhague entre le 28 juin 1761 et le 11 mars 1764.
Quelques jours à peine après la dernière, Montbarron, à Auxerre, vit le mystérieux objet. C’était le 15 mars. Il le revit encore les 28 et 29 du même mois, portant à trois ses observations sur lesquelles on possède malheureusement peu d’informations. Ce n’est que quatre ans plus tard, le 3 janvier 1768, que Horrebow, de Copenhague, signala encore l’objet, situé, selon lui, à une distance d’un diamètre de Vénus. Cette observation fut, semble-t-il, la dernière du genre. Depuis lors, en effet, aucun satellite vénusien n’a plus été signalé. Même dans la littérature parfois très documentée de certains chercheurs parallèles spécialisés dans l’étrange, on ne peut rien trouver qui puisse ressembler à un quelconque satellite vénusien.
On sait aujourd’hui de façon absolument certaine que Vénus n’a pas un satellite de la taille de celui décrit jadis. Si un tel objet existait, nos instruments perfectionnés l’auraient trouvé et l’astronautique aurait permis d’en préciser les caractéristiques. Le satellite de Vénus n’existe pas, la cause est entendue. Elle l’était d’ailleurs déjà à la fin du XIXème siècle quand Amédée Guillemin ayant à se prononcer sur l’existence de cet objet écrivait : "... aucun astronome ne croit plus aujourd’hui à cette existence". Jugement sans appel s’il en est.
Bien entendu, chacun l’aura deviné, l’existence supposée de cet objet donna jadis naissance à de nombreuses controverses. D’abord admise comme un fait à peu près indiscutable, sa réalité fut ensuite contestée. C’est l’astronome Houzeau qui, en 1884, proposa d’appeler cet énigmatique objet céleste "Neith". Ce nom était celui de la déesse de Saïs dont nul mortel n’a soulevé le voile mystérieux.
Les premiers astronomes qui contestèrent la réalité du satellite de Vénus affirmèrent qu’il n’était qu’une illusion d’optique. Le Père Helle, par exemple, déclara qu’une fausse image pouvait apparaître n’importe où près de la très brillante planète.
Cette fausse image était tout simplement produite, selon cet observateur, par la lumière réfléchie sur l’oeil et renvoyée ensuite dans l’oculaire.
L’explication était peu vraisemblable car Cassini et Short avaient observé l’objet plusieurs heures. Dans ce cas, les mouvements de leurs yeux auraient trahi l’identité de l’objet. Helle prétendait néanmoins avoir été la victime d’une pareille illusion. Il faut dire que cet observateur était d’un genre très particulier puisqu’il s’était endormi pendant qu’il observait le transit de Vénus sur le Soleil en 1769 ! D’autres critiques étaient plus sérieuses. Celle de David Brewster, par exemple, qui affirma que Wargentin avait un télescope qui montrait toujours une fausse image de ce genre. Webb, de son côté, démontra qu’une fausse image pouvait apparaître en n’importe quel endroit autour de la brillante planète. Cette image pouvait être inversée ou non.
Pour avoir une certitude absolue en la matière, il eut fallu examiner tous les instruments dont s’étaient servis les observateurs précités, et ce, dans les mêmes conditions que celles qui prévalaient lors de leurs observations. C’était matériellement impossible !
Certaines observations peuvent-elles s’expliquer par des illusions imputables aux instruments ? C’est plus que probable, car comme l’a fait remarquer Proctor, le satellite de Vénus disparut avec le perfectionnement des instruments...
D’autres critiques portèrent sur la validité de l’identification de l’objet. Pourquoi, après tout, aurait-il été un satellite de Vénus plutôt qu’un planétoïde ? Et pourquoi supposer que toutes ces observations n’avaient concerné qu’un seul et même objet ?
Houzeau supposa que l’objet aurait pu être une planète intra-mercurielle, c’est-à-dire un corps céleste dont l’orbite aurait été située entre Mercure et le Soleil. Cette hypothèse ne pouvait cependant expliquer toutes les observations car dans certains cas l’objet avait été vu très en dehors de l’orbite de Mercure.
On suggéra aussi que l’objet aurait pu être Uranus, mais les calculs ultérieurs montrèrent que cette hypothèse avait peu de chances d’être tenable. On suggéra également qu’il pouvait s’agir de planétoïdes errants. Hélas, à l’époque, on ne disposait pas des moyens suffisants pour calculer toutes les orbites des planétoïdes connus et ainsi vérifier l’hypothèse.
"Certains astronomes, a écrit Rambosson, allèrent alors jusqu’à admettre l’existence d’une planète circulant entre Vénus et la Terre." L’hypothèse n’était pas si farfelue que cela puisque de tels planétoïdes ont été découverts depuis. Faute de moyens suffisants à l’époque, on ne pu vérifier si de tels corps avaient pu être confondus avec le pseudo satellite de Vénus.
En 1887, soit plus d’un siècle après la dernière observation de l’objet, Paul Stroobant fit la première et unique étude synthétique de l’ensemble des observations connues et que nous avons signalées plus haut.
Il établit que dans un certain nombre de cas des étoiles avaient été prises pour l’objet mystérieux.
Il élimina également l’observation de Scheuten du 6 juin 1761 qui avait immédiatement suivi l’annonce des quatre remarquables observations de Montagne. Scheuten n’avait pas été le seul, ce jour-là, à observer Vénus, mais il avait été le seul à voir le satellite se profiler sur le Soleil. Ce satellite ? C’était donc tout simplement une tache solaire ! Stroobant balaya également les observations de Fontana en notant que dans chacune Vénus avait une phase différente... alors que l’astronome napolitain avait représenté Vénus en croissant sur tous ses croquis ! Il devait donc posséder un fort mauvais instrument ou être très distrait. Or, ses observations furent les premières !
Stroobant prouva également que les trois premières observations de Roedkier qui suivirent immédiatement celles de Montagne et Scheuten, étaient douteuses. En effet, d’autres astronomes de Copenhague ne virent rien ! Pour Stroobant, seules les observations faites à Copenhague les 3, 4, 9, 10 et 11 mars 1764 paraissaient inexplicables. Or, Proctor a signalé que celles faites par Roedkier seul les 3 et 4 ne purent l’être qu’avec un seul télescope, un autre utilisé par le même observateur à titre de vérification n’ayant rien montré.
La synthèse critique de Paul Stroobant fut l’objet des commentaires les plus élogieux. En août 1888, dans un discours résumant les progrès de l’astronomie en 1887, Camille Flammarion, Président de la Société Astronomique de France déclarait : "La question du satellite énigmatique de Vénus a enfin été résolue par M. Stroobant.
Lorsqu’il n’y a pas eu fausse image ou illusion d’optique, on trouve, pour les 33 observations les mieux faites, une étoile fixe correspondant presque exactement aux diverses positions notées."
En 1891, soit avec un peu plus de recul, J. Rambosson concluait de façon nuancée : "Elle (l’énigme) vient d’être presque résolue par M. Paul Strrobant (...) Les quelques apparitions qui ne sont pas encore expliquées le seront probablement dans un avenir prochain.
Ce qui paraît hors de doute, c’est que le satellite de Vénus, autour duquel on mena si grand bruit, n’existe pas."
On peut faire à l’étude de Paul Stroobant deux reproches que ne semblent pas avoir retenus les astronomes de son temps. Le premier concerne les observations de Montagne. S’il faut en croire Stroobant, ce dernier aurait pris une seule et même étoile pour le satellite de Vénus. C’est difficile à admettre étant donné que cet observateur nous a laissé des croquis montrant l’objet en croissant. La trajectoire de l’objet n’est pas davantage expliquée par P. Stroobant. La seconde remarque qu’on peut faire concerne la façon simpliste dont le témoignage de Mayer a été expliqué. Stroobant s’exprima en effet ainsi : "Pour expliquer l’observation de Mayer, on pourrait supposer que la date de cette observation ne nous a pas été transmise exactement..." En avançant cette date de quelques jours, Stroobant parvint à identifier l’objet décrit par Mayer à une étoile fixe. C’était trancher un peu vite la question ! Néanmoins, il faut bien reconnaître que bien que très improbable la chose fut possible. Après tout, sur ces 33 observations, Wilkins a bien fait une erreur en datant l’une d’elles du 18 août 1686 !
Mal informés ou peu compétents en la matière, il s’est trouvé des individus pour chercher à expliquer le pseudo satellite de Vénus par des théories à la limite de l’invraisemblable. C’est ainsi qu’on a parlé de satellite artificiel comme on l’a fait également un certain temps à propos des satellites de Mars. On a aussi avancé l’hypothèse d’un vaisseau extraterrestre de passage dans le système solaire. Enfin, on a suggéré une éventuelle solution en recourant à des interférences entre mondes parallèles ou d’autres créations de l’esprit du même genre.
Point n’est besoin de recourir à ces hypothèses fantasmagoriques puisque les explications rationnelles ne manquent pas. La solution de l’énigme du satellite de Vénus n’est pas à rechercher dans l’imaginaire mais bien dans une synthèse critique adéquate des explications avancées jadis par les astronomes, seuls compétents en la matière, contrairement à ce qu’aimeraient nous faire croire un nombre sans cesse croissant de chercheurs para-scientifiques.
Références bbliographiques :
Amédée GUILLEMIN : Le Ciel, Paris, 1870, p. 142
Richard PROCTOR : Myths and Marvels of Astronomy, London, 1878, pp. 305-306
Camille FLAMMARION : Les Terres du Ciel, Paris, 1884, pp. 262-266
J. RAMBOSSON : Les Astres, Paris, 1891, p. 121
H.P. WILKINS : Les Mystères de l’Espace et du Temps, Paris, 1956, pp. 118-119
Bulletin de la Société Astronomique de France : Août 1882, pp. 201-206 (Bertrand) ; août 1884, pp. 283-289 (Houzeau) ; décembre 1887, pp. 452-457 (Stroobant) ; mai 1888, p. 169 (Flammarion)
Science et Vie : novembre 1960, pp. 98-103 (Aimé Michel)
Flying Saucers Review : Nov/Dec 1967, Vol 13 n° 6 p. 26
Japan International UFO Investigation Bulletin n° 1
Le monde est étrange, vous ne trouvez pas ?