Reuchlin disait que la Kabbale est le fruit de l’illumination divine. Il eut une grande influence sur Cornélis Agrippa et sur Faust, quand tous deux de bonne heure se livrèrent ensemble à l’occultisme et à la magie. Selon Reuchlin, la Kabbale fut connue grâce à Pic de la Mirandole, qui la tenait de son maître Ibn Gabirol, mystique exalté, adepte des Averroïstes de Padoue. Raymond Lulle, passion né de l’Orient, la travailla aussi comme 1’interprétation ésotérique de l’Écriture. Ses amis, qui connaissaient les doctrines secrètes juives, étaient Elie del Migo, Flavius, Mithridatus, Jochanan Alemannus.
La Kabbale, de l’hébreu Quabbalah a été le creuset où, au Moyen Age, est venu se fondre avec les traditions de toutes les races et religions, l’héritage particulier des peuples de race blanche de l’Occident européen. Il en a résulté un curieux ensemble métaphysique et philosophique, où les résurgences païennes, propres à l’Italie et à la Grèce, les traditions pythagoriciennes, véhiculées par les corporations et les métiers, les survivances celtiques dans le traditionalisme de la sorcellerie populaire et paysanne et l’ésotérisme gnostique chrétien, ont constitué cet étrange « climat » d’où surgissait la magie médiévale, dans ce que l’on appellera plus tard, le cycle Faustien.
Et c’est alors que paraît le Sopher-ah- Zohar ou Livre de Splendeur. Le Zohar est le résumé ésotérique de trente siècles de mysticisme judaïque. Ce livre eut une répercussion considérable sur tous les occultistes.
Ainsi, c’est par la Kabbale que, pour Goethe, le laboratoire du Docteur Faust s’illuminera des chaudes images de son vitrail, où l’Hexagramme de Salomon et le Pentalpha de Pythagore s’unissent, s’enlacent autour de l’Églantine des disciples d’Hermès, elle-même irradiée au sein du Trycel Celtique. Les cloches du matin de Pâques arracheront le Docteur Faust, selon Goethe, à sa mortelle mélancolie, célébrant aussi la résurrection du Temple de Jérusalem, que les bâtisseurs de Cathédrales transposeront dans nos grandes métropoles gothiques... Synthèse développée de nos jours très justement par M. Robert Ambelain.
Le Trycel Celtique devint la rosace trilobée. L’Hexagramme, le Pentagramme, les « roses » merveilleuses et Kabbalistiques, dans cette fusion Judéo-chrétienne, entraînaient d’importants bouleversements où les docteurs retrouvaient l’énigmatique prophétie de la Genèse : Japhet habitera les tabernacles de Sem.
La doctrine juive ésotérique, basée sur le témoignage ininterrompu des Sages et des Initiés, invoquait en effet le Sepher Jetzira, ou Livre de la Création, attribué au 2eme siècle à Akiba, inspiré de la Révélation divine. Jéhovah, selon la tradition, la prôna aux anges, qui l’expliquèrent à Adam et aux patriarches. Moïse la compléta de sa vision sur le mont Sinaï. Le Pentateuque de Moïse était destiné au peuple ; la Kabbale ésotérique, réservée aux Rabbins. On connaît ses trois données fondamentales : la Géométrie, la Notarique, la Thémura. Il ne faut pas confondre la Kabbale et le Talmud, rituel pratique en usage dans la religion.
C’est Isaac l’Aveugle, de Beaucaire, en Provence, qui l’imposa, car elle florissait en Espagne et se maintenait en Orient. Ses disciples, Ezra-Azriel et Jacob Nasir, qui écrivit le Bahir, développèrent sa doctrine. Isaac Lorin, au 15eme siècle, en tira son Rituel magique.
L’École allemande Kabbaliste d’Éléazar de Worms avait eu pour fondateur le rabbin Yehuda ben Samuel le Pieux, de Ratisbonne, mort en 1217. On sait que la tradition hébraïque, celle de la Kabbale, située en marge du Talmud, et qui avait totalement disparu aux premiers siècles de l’ère chrétienne avec la dispersion du Temple, avait été reconstituée au 11eme siècle et prétendait remonter à la Babylonie.
A Worms donc, au début du 13eme siècle, enseignait Éléazar ben Juda ben Kalonymos, de la grande famille des Kalonymos de Mayence. Aumônier à Erfurt, puis rabbin à Worms, selon Zung, il fut persécuté par les Chevaliers Croisés, qui tuèrent sa femme Dulcina, ses deux filles Belat et Hanerat, et son fils Jacob. Ses œuvres (dont les manuscrits sont actuellement à la Bibliothèque du Vatican) eurent un grand retentissement : commentaires de la Bible, Sefer ha Kabod, commentaires kabbalistiques du Pentateuque cités par Azoulai, Sha’ aré Binah ; un grand ouvrage : Rokeah, violemment hostile au matérialisme et aux idoles, et surtout ses Hekaloth (palais), où éclate la splendeur de ses visions, où se déploie sa démonstration des milliers d’anges, d’esprits, de puissances, qui peuplent l’univers.
Éléazar se recommandait, en sa mystique métaphysique, du célèbre philosophe et astrologue formé à l’école de Pythagore, Ibn Ezna, qui affirmait que la Loi orale de la Tradition, la Kabbale, avait bien été révélée à Moïse, en même temps que la Loi écrite des Dix Commandements. Son Sepher Hachem est un livre hautement inspiré et initiatique, traitant du nom divin, le nom unique de Jahvé, inscrit par lui sur le Tétragramme : les nombres illustrent son reflet. Le carré aux neuf cases, dont les chiffres additionnés en tous sens donnent quinze (moitié du chiffre divin) est souvent mentionné par lui, le carré magique, dit parfois le Sceau de Salomonet dont les vertus secrètes sont miraculeuses. Nous en avons déjà parlé.
On assurait à Prague au 16eme siècle que c’était par la Kabbale que s’opéraient les miracles. Le maître Élie de Chelm en avait fait la démonstration, en construisant son homme artificiel, son golem, sur lequel il inscrivit le nom sacré de Dieu sur le front, ce par quoi le Golem s’anima. Le rabbin de Prague, Juda Low ben Bezalel, fit de même. On dit qu’effrayé de la croissance du monstre grandissant, il effaça rapidement le nom du front du golem qui retomba inerte, en sa vile matière.
Éléazar de Worms, auteur présumé du livre Kabbalistique attribué par la Légende à 1’ange Raziel (Raz en hébreu, signifie Mystère) révéla les noms des anges, le sens caché des lettres, les mots de l’Ancien Testament. Les Kabbalistes découvrirent des secrets partout dans la Bible.
Par la puissance des mots, les Kabbalistes brûlant leur encens devant le Pentacle du divin Pentagramme évoquaient les esprits, éteignaient les incendies, repoussaient les dangers et les maladies.
Éléazar fit connaître la Kabbale appliquée, il usa largement d’amulettes, de talismans, de philtres d’amour et de haine : notamment deux triangles entrecroisés formant l’étoile à six branches, portant dans les angles et au centre les lettres du Tétragramme, aux noms divins et magiques de la Bible, le "Sceau de Salomon" respecté de tout le Moyen Age et retrouvé au fronton des synagogues galiléennes.
Autre talisman pour guérir, pour envoûter, pour chasser les esprits, pour éteindre l’incendie : une série de triangles aigus, portant le nom des anges de base.
Usage du gâteau de froment aux noms incrits, qui guérit la mémoire ; opérations authentiques, combinaisons angélologiques, où Éléazar de Worms est maître. Il faut lire les ouvrages kabbalistiques et féeriques d’Éléazar, très connus à Prague.
Son disciple Menachem avait le culte des lettres : Y, H, V, il composa des tétragrammes surchargés de versets hébraïques. Son élève Abraham de Cologne alla professer à la cour d’Alphonse 10 de Castille, qui en fut émerveillé.
Il était de ceux qui, en brandissant le Livre de la Divine Connaissance, disaient avec Joseph Gikatilia dans ses textes reproduits par Moïse de Léon : La Kabbale qui est entre nos mains remonte par la chaîne de la tradition au Maaseh Mercabah, d’où elle a passé à la colonne droite, le pieux Rabbin Isaac l’Aveugle. Ben Aderet appelait ces grands mystiques juifs : les maîtres des mystères de la Thorah, qui retrouvaient les sources de la tradition entretenues depuis la destruction du Temple.
Comme il invoquait Ezra-Azriel, il revendiquait son disciple Moïse ben Hachman, appelé communément Nachmanide, un des maîtres du judaïsme dogmatique, dont on disait que son pouvoir occulte le rendait invulnérable. Ses ouvrages tendent à appliquer la spéculation métaphysique à la conquête et à l’asservissement des forces cosmiques. Il traite aussi de la magie, de la nécromancie, relatant les entretiens qu’il a eus avec des maîtres de 1’art de la conjuration. Nachmanide a joué un rôle capital dans l’évolution de la magie par la Kabbale.
Éléazar de Worms, qui invoque constamment Ibn Ezra, écrit dans son Sefer Raziel, que son œuvre a été révélée par l’ange Raziel (Mystère - Dieu) à Noé lors de son entrée dans l’arche, et qu’il est écrit sur une pierre de saphir : En lui sont les grands mystères, les mystères des degrés supérieurs, des astres, de la révolution, de la fonction et des moeurs de tous les corps célestes, par la science qu’il donne on peut obtenir tous les secrets des choses, la mort et la vie, l’art de guérir et d’interpréter les songes, l’art de faire la guerre et d’apporter la paix.
De Saragosse, Abraham ben Samuel Abulafia, au 13eme siècle, envoya la démonstration de la magie des lettres, des nombres, au service de la cosmogonie et les sept degrés de la contemplation, comme saint Bonaventure.
Le maître sans cesse revendiqué, c’est Moïse, en communication directe avec l’Au-delà, le surnaturel, sur le mont Sinaï.
Les vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque sont des signes représentatifs de sons qui furent la manifestation du Verbe créateur. Sous ces lettres, la Kabbale voit des êtres sacrés descendre dans le monde inférieur. En se combinant, les lettres matérialisant les Idées Divines, ont donné naissance aux formes et à toutes les images du monde. Le Verbe a pris la forme des lettres de l’Alphabet, qui émanent toutes du point Suprême (Kether). Le Verbe était donc avant la Création. Saint Jean l’a bien précisé.
Les Lettres et les Mots sont vivants.
Telle était l’importance de l’école allemande transportée à Prague.
La Kabbale connut un succès immense : la Pensée, le Verbe divins, qui se manifestaient par le Nombre, les Lettres, les Signes, les Figures, recréaient le monde dans son secret le plus intime. Les formules, les combinaisons arithmétiques et architecturales, projetaient leur efficacité réelle. Parti de la Provence Maure au 13eme siècle, le mouvement de pensées s’étendit à l’Espagne, à l’Europe entière. Au 15eme siècle, à Jérusalem, Isaac Lorin créait un rituel Kabbalistique inspiré de ce symbolisme des Lettres et des Nombres. Dante est imprégné de ces constellations magiques. Raymond Lulle, par ce moyen, par ce système de figures et de nombres, prouva la religion chrétienne comme la seule valable.
Il convenait de retenir essentiellement que le Kabbaliste reniait l’éventualité de la damnation universelle. Le Mal n’est que privation de justice et momentanée. L’homme est noble, fait à 1 ’image de Dieu l’Adam Kadmon, l’expression métaphysique de l’Unité. Pas d’Enfer, pas de Mal, pas de péché. Voilà qui complétait heureusement la pensée des gnostiques.
La loi sexuelle, enfin, exprimait la sève des lois. La sexualité, en effet, est la productrice de la vie, du rayonnement, de la lumière, de toute activité : du mouvement de l’univers au plus infime ordre terrestre. Les principes mâle et femelle procèdent de la magie divine ; La forme sexuelle est la forme primordiale de la Création ; et ceci : Lorsque l’Ancien voulut former toutes choses, il les forma sur le type mâle et femelle et Dieu ne fait qu’opérer des unions sexuelles, réaliser des mariages, et c’est ce qu’il appelle créer. L’homme n’est considéré comme pleinement complet que quand il est uni à la femme.
Le mariage de la Sagesse et de l’Intelligence donne la Science. La loi sexuelle établie par les Séphiroths domine le monde entier. Il y a des âmes mâles et des âmes femelles. Adam fut créé androgyne. Dieu le dédoubla et créa le principe médiateur : l’amour. Pour le règne animal, le principe mâle est le taureau, le principe femelle l’âne. Il y a des préceptes mâles et des préceptes femelles. L’alphabet comprend des lettres mâles et des lettres femelles. L’Arche d’Alliance s’ornait d’un chérubin mâle et d’un chérubin femelle, face à face parce qu’ils se désiraient l’un l’autre. Le Temple de Salomon élevait à son entrée deux colonnes, Jakin et Boaz, symboles phalliques, signes symboliques des Séphiroths Victoire et Gloire, exprimant les forces de l’Adam primordial : c’est à leurs socles que les jeunes mariés déposaient des offrandes et se frottaient pour la fécondation de leur union.
L’encens demeure la sanctification de l’union. (Zohar III, 226°.) L’amour s’affirme la grande loi et embrasse toutes choses.
La mystique de la Kabbale incite à l’amour. L’Amour est acte de magie.