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La honte : la télévision montre un massacre à la télévision !

vendredi 17 août 2012, par Neimad

Aujourd’hui, BFMTV vient de diffuser les images d’une fusillade de miniers en grève par la police à Marikana, en Afrique du Sud [1], faisant entre 34 et 36 morts selon l’AFP. Armés de mitraillettes, à distance des manifestants d’une vingtaine de mètres et dans une zone dégagée, les policiers ont tiré par rafales sur les grévistes ; ceux-ci n’avaient aucune chance d’en réchapper.

Le chef de la police a expliqué que les policiers n’avaient tirés que pour protéger leur vie, mais ce n’est pas ce que montrent les images.

Selon l’Agence France Presse (AFP) :

Résumant un sentiment général, le grand quotidien The Times notait vendredi que les images qui ont fait le tour du monde "semblaient appartenir à une Afrique du Sud du passé, lorsque les confrontations entre la police et les civils étaient monnaie courante (...) Mais ces images n’étaient pas des images de l’apartheid".



** Rappel de la situation en Afrique du Sud


Pour information, les mineurs manifestaient pour une augmentation de salaire : ils gagnent en effet l’équivalent de 400 euros par mois [2], et vivaient dans des taudis accolés à la mine, sans eau courante, quand l’Afrique du Sud est le pays le plus riche de l’Afrique, avec un PIB par habitant de même niveau que les pays d’Amérique du Sud ou de l’est de l’Europe.

L’Afrique du Sud n’a pas de salaire minimum national, mais le Ministère du Travail peut prendre des décisions sectorielles, qui peuvent comprendre un niveau de rémunération de base. La législation fait une différence entre les zones rurales et urbaines. Le salaire moyen mensuel brut en Afrique du sud est de 8.500 ZAR (1.100 USD), soit 1354 euros.

 [3].

Même si l’apartheid est terminé, les inégalités sociales sont toujours présentes, puisque 98,2% des bas salaires sont touchés par les Noirs, les Métis et les Asiatique, contre 1,8% de Blancs, alors que ces derniers représentent 9% de la population.

Source : Rapport mondial sur les salaires de l’OIT, Note d’information sur l’Afrique 2010/2011, page 16.

Dans l’autre sens, les plus haut salaires sont détenus en majorité par les Blancs, puisque 9% de la population perçoit 50% de l’ensemble des revenus du pays.

S’appuyant sur des données plus récentes et un autre indice de la pauvreté, un rapport sur le développement social, publié par le Gouvernement en mai dernier, a établi que 65 % des Sud-africains vivaient en dessous du seuil de la pauvreté. Il s’agit dans presque tous les cas de Noirs : "Africains, personnes de couleur et Indiens", pour reprendre les catégories raciales de l’apartheid qui sont encore fréquemment utilisées aujourd’hui (voir tableau). Sur ces pauvres, 19 millions de personnes (soit 46 % de l’ensemble de la population) semblent être "pris dans l’engrenage de la pauvreté" et vivent avec des revenus mensuels inférieurs ou égaux à 353 rand (55 dollars E.-U.)

 [4]

355 rand contre 4000 rand. Ces mineurs gagnaient donc dix fois plus que leurs concitoyens les plus pauvres, et ils demandaient 12 500 rands par mois, soit 1.234 euros, presque le salaire moyen du pays, ce qui est une somme symbolique qui devait leur servir de moyen de pression, comme c’est souvent le cas lors des revendications syndicales (demander plus pour garder une marge de négociation). Cette manifestation s’est d’ailleurs organisée en dehors des organisations syndicales. C’était une révolte populaire de mineurs qui demandaient simplement à mieux vivre, à partager un peu de cette richesse qu’ils peuvent voir dans les grandes villes du pays.



** La honte : montrer les images d’un meurtre ou d’une fusillade pour l’audimat


La raison de cet article n’est pas tant le rappel des inégalités de part le monde ou la dénonciation des faits de violence que cela peut engendrer, mais la pratique désormais courante des médias [5] de montrer "en direct" des images violentes.

Cela existait déjà dans les années 1990, mais c’est redevenu plus fréquent depuis la diffusion en direct de plusieurs personnes du haut des twins tower en 2001. Notons en particulier la pendaison de Saddam Hussein en 2006 et les "images insoutenables", de l’avis même de ceux qui les diffusaient, du lynchage de Khadafi en 2011. La Palestine et la Syrie fournissent aujourd’hui des images sanglantes pour les émissions quotidiennes... [6]

Il y a encore quelques semaines, j’ai vu des soldats syriens abattre un homme en gros plan. Les balles l’ont percutées, sa chemise s’est teintée de rouge et il s’est effrondré en pleine rue, manifestement mort. Cet homme n’avait aucune arme apparente. Ce que nous montrent les médias est de la violence pure, sans explication, sans contexte, sans défense...

Les images des corps sanguinolants continuent d’ailleurs à illustrer les différents articles sur le sujet, comme si la simple mention des mots "mort", "massacre" et "fusillés" ne suffisaient pas pour comprendre ce qui s’était passé.

En utilisant l’image choc, les journalistes font ainsi appel directement au cerveau primaire, au siège de l’émotion, puisqu’aucun commentaire ne nous prépare à ce que nous allons voir. Il y a quelques années, un journaliste de i-télé avait même présenté les images d’un tsunami avec ces mots : "Les images se passent de commentaire". Un long silence accompagnait les images de la catastrophe.

** Le cynisme des médias et la stratégie du changement permanent


Rappelons pour mémoire le cynisme des propos de l’ancien patron de TF1, Patrick Le Lay, PDG de TF1, en 2004 [7] :

Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective ”business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (…).

Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (…).

Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise.

La théorie du changement permanent… Nous sommes dans 1984, le livre de Georges Orwell. C’est une théorie de la manipulation. En instituant des changements réguliers, le vrai qui devient le faux (le Président qu’on avait autrefois vanté devient l’objet de toutes les critiques), le problème devient la solution (les banques qui ont créés la crise doivent être aidées), l’ennemi d’hier qui devient un allié (l’exemple de 1984), la droite qui cite des grandes personnalités du PS (Jaurès, Marx…), et réciproquement. Le passé devient flou, seul le présent existe et ce que les médias en disent. D’une certaine manière, on peut dire que le présent est une invention des médias.

N’avez-vous jamais remarqué que les idées que répètent la plupart des personnes à propos du climat, de l’écologie, du chômage, de la violence, des banlieues, de la Chine, de la Syrie… dépend non seulement de l’actualité, ce qui est normal, mais aussi et surtout des affirmations qui sont diffusées dans les médias, des réflexions "clé en main" qui sont fournies par les journalistes ou les "experts" sur les plateaux tv ?

Il existe heureusement des personnes pour multiplier les sources d’information (tv, radio, journaux…), pour chercher de l’information sur les médias indépendants (type mediapart, indimedia, novopress…), pour chercher des informations complémentaires, pour lire des livres d’histoire…

Certains font le choix de couper la télévision, de ne plus écouter les actualités, de se couper du monde, comme pour vivre dans de perpétuelles vacances, dans leur vie, dans leur monde… C’est un choix. C’est l’équivalent d’un bulletin blanc dans l’urne.

Mais pendant ce temps, le monde continue de tourner…



**Trois préceptes de bon sens


Trois préceptes de bon sens devraient être rappelés aux médias qui diffusent ces images et aux citoyens que nous sommes :


1 - La télévision influence le comportement des individus, c’est même pour cela que les entreprises financent la publicité. Les images de violence ont donc un impact sur ceux qui la regardent. Ceux qui diffusent ces images sont donc responsables de leur impact.


2 - Cet impact est extrêment négatif sur les enfants et les personnes fragiles. Les parents devraient donc éviter de montrer les journaux télévisés aux enfants et expliquer aux adolescents ce qu’ils voient [8].

Plus de 1000 études de cas ont prouvé que la violence des médias peut avoir des effets négatifs sur les enfants ainsi. Il accroît les comportements d’agressivité et anti-sociale, les rend moins sensibles à la violence et aux victimes de la violence, et cela augmente leur appétit pour plus de violence dans le divertissement et dans la vie réelle.

Source : BioInfoBank.library : Les effets de la violence sur les enfants (en anglais)


3 - Les vidéos sont filmées par des journalistes qui ne sont pas intervenus. C’est le cas, par exemple, de la vidéo du massacre de Marikana. Ne pourrait-on pas les accuser de non-assistance à personne en danger ?

Que penser, dès lors, de ceux qui diffusent ces images... comme de ceux qui les regardent ?



Ce monde est à nous, changeons-le !

Voir en ligne : Source de l’image : ethique-tic.fr

Notes

[1] Par décence envers les victimes et éviter le voyeurisme, Projet22 refuse de mettre le lien vers la vidéo.

[2] 4000 rands en monnaie locale

[3] Voir http://www.lemoci.com/Afrique-du-Su...

[4] Source : Afrique Relance, une publication des Nations Unies

[5] Si les chaînes historiques, les chaînes d’information, les médias du net se ressemblent, c’est non seulement à cause de la guerre de l’audimat qui se joue entre elles, mais aussi parce qu’elles appartiennent de plus en plus aux grandes multinationales. Plusieurs chaînes de la TNT ont d’ailleurs été rachetées par les chaînes historiques : TMC et NT1 appartiennent à TF1, Direct 8 à Canal+, W9 à M6, etc.

[6] Il faut se poser la question de la proximité des dépêches de guerre et de l’actualité économique sur les chaînes d’information continue, en particulier sur leurs modèles américains : CNN...

[7] Source : l’observatoire des médias Acrimed : Le Lay (TF1) vend « du temps de cerveau humain disponible »

[8] les jeux d’enfants et les dessins animés mettent en scène une violence à visée sociale, montrent qui possède la violence légitime, ce qu’elle peut engendrer et comment y réagir. La violence des jeux vidéos et des films expriment d’une autre manière la violence que les enfants vont constater dans le milieu social (à l’école, dans les jeux de société ou dans la joute amoureuse, par exemple), professionnel ou économique (concurrence sur le marché du travail, concurrence dans l’entreprise pour monter en échelon et en salaire, être un "gagnant", un "battant", un "winner", etc.). Accepter la violence physique, c’est aussi accepter la violence morale, la violence sociale. C’est accepter la société telle qu’elle est et accepter de la reproduire pour les générations à venir.

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