L’histoire est longue, je la résumerai donc. Certains détails, trop intimes, ont été passés en silence. Mais ce qui est dit n’en reste pas moins vrai dans son déroulement.
L’histoire en question se déroule dans la maison de campagne des parents de C. Il a invité tous ses amis pour le premier de l’an. Il est le seul d’entre eux à faire des recherches ésotériques ; ses parents son chrétiens ; il croit en une Force supérieure. L’un des invités dit savoir faire de la magie ; C. ne le croit pas. Il fait une séance très simple dans la forêt. Rien ne se passe mais rien n’était sensé se passer. Il s’agissait juste d’une séance de « purification ».
Le second soir, dans une pièce de la maison, C., le « mage » et un troisième individu refont cette séance. Mais C. s’écarte du cercle avant la fin. Il croit avoir vu une ombre bouger. Il se met alors à délirer. Cela dure toute la nuit. Il semble raconter une histoire de science-fiction à la première personne.
Puis il s’endort et se réveille, normal. Il ne se souvient pas de ce qui s’est passé. On lui fait écouter l’enregistrement que l’un des individus a eu l’idée de faire. Tout le monde en rit, C. y compris.
Le soir arrivé, il se met à avoir un comportement étrange, un peu violent, très excité. Il jette sa Bible à terre, ce que son meilleur ami sait qu’il n’aurait jamais fait. Un autre, qui n’avait pas participé à la séance du soir précédent, la ramasse et pour s’amuser – il n’est pas croyant – commencer à lire une page au hasard. C. parle en même temps, à tout le monde et à personne. Il veut montrer qu’il est capable de soulever la lourde table de bois si on l’aide. Personne ne l’aide. En même temps qu’il parle, il fait le geste, soulève la table d’un angle (ce qui n’est spécialement difficile) et fait de cette façon glisser la bougie qui était sur la table, bougie qui se renverse ainsi sur la Bible et le pull de celui qui lisait. Ce dernier s’arrête de lire et C. ne s’excuse pas. L’un des individus qui était à la « cérémonie » l’autre jour comprend qu’il voulait empêcher qu’on lise la Bible.
Je passe de nombreux moments de la soirée où les comportements « bizarres » mais apparemment signifiants se multiplient. A un moment, C. monte dans une chambre vide, il met la musique à fond, dit des mots qu’on ne comprend pas, faits des gestes parfois, complètement cloîtré sur lui-même. Finalement, certains se décident à « l’exorciser » en lui parlant d’abord, puis en récitant la Bible – alors qu’aucun n’est chrétien. Trois individus montent. Ils ne sont pas au même endroit de la pièce. A peine C. les repère-t-il qu’ils sentent tous le cœur se mettre à battre à toute vitesse. L’un d’eux est venu en avertir les deux autres qui étaient justement en train de se l’apprendre mutuellement. Cette coïncidence, totalement synchronique, les a beaucoup surpris.
Après des heures où C. injurie, se moque, tente de corrompre, parle sans cesse afin de couper la concentration aux récitants, ceux-ci décident de faire une pose. L’un d’eux a « senti » que C. n’était plus « possédé » mais qu’il était redevenu lui-même, et que s’il continue à parler bizarrement, c’était uniquement par réflexe. Il trouve ensuite une idée efficace pour le faire définitivement redevenir lui-même : faire sembler d’appeler sa mère, car C. a des liens très forts avec celle-ci. Il dit donc qu’il l’a fait et que s’il veut les rassurer, il faut qu’il la rappelle tout de suite. C. reprend le dessus de l’ « autre » qui parlait, il se lève ; il n’a plus qu’un fort mal de tête.
Plus tard dans la soirée, certains des invités sortent dehors se promener. C’est la pleine lune et la nuit est claire. En revenant d’une courte marche, l’un de ceux qui avait participé à l’ « expérience » entend un hurlement venant de la maison, plus précisément de la pièce où elle s’était produite. Il pensa à un volet qui grince et n’y pensa plus. Les deux autres n’avaient rien entendu. Arrivé à la maison, deux des personnes qui étaient restées à la maison, C. et son meilleur ami lui disent avoir entendu un cri venant de la dite-pièce. Les autres invités qui sont restés avec eux n’ont rien entendu. Coïncidence troublante.
Quelques week-end plus tard, les parents de C. reviennent à la maison de campagne. Leur chat se précipité sur le lit où C. avait fait son premier délire et où avait eu lieu la seconde « cérémonie ». Le chat s’est assis, les yeux dans le vide, et est resté ainsi tout le week-end.
Cet épisode a marqué tous ceux qui y ont participé. Ils se sont tous intéressés à la magie et l’un d’entre eux n’a pas arrêté de faire des cauchemars pendant des semaines, au point de ne pas pouvoir dormir. C. qui n’a plus voulu faire de magie ; il a même fini par donner une explication à ce qui s’était passé : il a fait une crise, le bouchon a pété ; les cœurs qui battent à la chamade sont une coïncidence. Sur les trois individus qui ont été le plus impliqué en plus de C., l’un d’entre eux a commencé à s’intéresser à la magie mais s’est vite arrêté ; un autre, sceptique par excellence, s’est fait bénir par le « mage » une pierre afin de le protéger dans son sommeil (cela n’a été efficace que durant une semaine) ; le dernier a cru en l’existence de la magie et a cherché à comprendre comment cela fonctionnait – sans oser pratiquer lui-même.
Plusieurs semaines après, C. sentait encore quelque chose en lui qui près à céder. Il était parfois parcouru des frissons incontrôlables. Avec le temps, cependant, il est parvenu à les contrôler. Il a abandonné toutes ses recherches métaphysiques. Il mène aujourd’hui une vie normale. Aucun d’entre eux n’a osé se prononcer sur la question du « démon ». L’implication théologique les gênait. Ils parlèrent plutôt de « défaut manifesté » (le mage), de « force négative », de « petit démon parmi d’autres », de « démon personnel »…
Psychologiquement parlant, et même en tenant compte de leur environnement culturel, cela trouve une explication logique. C. s’est libéré de la tension accumulée par des refoulements diverses, peut-être celle due à ses relations difficiles avec son père. Le « mage » lui a en donné l’excuse. Il ne disait pas y croire, mais il s’intéresse quand même à l’ésotérisme et a de toute façon bien voulu faire l’expérience. Même remarque pour les autres participants. Rien, pourtant, n’était sensé se produire. Pourquoi C. ? C. était attiré depuis longtemps par l’ésotérisme. Reste les coïncidences : le cœur, le cri, le chat. Etaient-ils dans un état qui les mettaient tous à l’affût des moindres coïncidences ? Sans doute, sinon comment devrions-nous expliquer ces phénomènes ?