La maya dans le bouddhisme

dimanche 13 mars 2011
par  Neimad
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 Qu’est-ce que la maya ?


Le concept hindouiste de maya peut être défini comme la trame du monde, l’illusion d’un monde générée par notre cerveau, la perception du monde pour un sujet donné, l’expérience vécue confondue avec l’expérience du monde, la réalité objective ramenée à la réalité subjective. Selon cette conception, nous vivons tous dans un rêve éveillé et, comme dans les rêves, nous ne nous en rendons pas compte jusqu’au moment de « l’éveil ». Malheureusement, cet éveil peut intervenir après plusieurs « vies » ou ne jamais intervenir…

Nous allons voir que la maya est un concept clef du bouddhisme et qu’il rejoint, car certains côtés, d’autres philosophies, comme celle d’Aristote, et d’autres religions, comme le christianisme.



 Les particularités du bouddhisme


Dans toutes les religions, les saints hommes sont des modèles et leur vie sert d’exemple pour les croyants. Le bouddhisme possède également ses saints hommes, mais le Bouddha tient une place particulière, comme le Christ dans la religion chrétienne. La vie Bouddha n’est pas seulement une seulement une illustration, une explication par l’image, c’est également une démonstration rationnelle de ce qu’est la vie. Le bouddhisme, en effet, n’agit pas de manière additionnelle comme beaucoup de religions, il n’apporte pas une doctrine, une révélation, un livre, un mythe, une origine au monde, un nouveau dieu, il soustrait à l’hindouisme dont il est issu les doctrines anciennes, l’interprétation des textes sacrés, l’ascèse spirituelle, la vénération d’une divinité, la croyance aux dieux, tout la mythologie. Le bouddhisme est une épuration de l’hindouisme.

Le bouddhisme est-il une religion ou une philosophie ? Il est une philosophie a la base, une critique sévère de la religion de la part d’un saint homme (celui que l’on appelle Bouddha). Il est devenu une religion : ses disciples se sont regroupés en collectivité, certains rites ont permis de gérer cette collectivité, son enseignement est devenu systématique, etc.

La Bouddha lui-même n’était pas contre la systématisation. Il l’utilisa pour la plupart de ses exposés : premier point, deuxième point, donc, donc, etc. Un système n’était jamais pour lui qu’une manière de facilité la mémorisation et la concentration pour la méditation sur les différents points. Un système doit donner à réfléchir, il ne doit permettre à la réflexion de s’appuyer sur un modèle. Un système est un modèle de réflexion. Vouloir faire du système une vérité qui ne puisse être modifiée ou enrichie par la réflexion, c’est condamner cette même réflexion et lui substituer le système. Réfléchir de manière systématique, c’est enchaîner les conséquences logiques, c’est penser comme une machine, être prévisible. Est-ce encore réfléchir ou est-ce cela la réflexion ?

Les religions, et le bouddhisme ne fait pas exception ici, ont toujours passé qu’il y avait quelque chose au-delà de la réflexion. Le Bouddha n’appliquait jamais la systématisation que pour expliquer le fonctionnement du monde considéré comme une vue de l’esprit : la maya. Il cessait la systématisation quand il s’agissait de parler de la réalité derrière la maya. Il n’y avait pas grande chose à dire : cette réalité existe et il y a un moyen pour y venir. Ce moyen, c’est la libération du désir, le détachement du monde, une forme d’ascèse qui est avant tout psychologique. Pour un vrai bouddhiste, les rites religieux sont comme les systèmes : ils n’ont aucun sens du point de vue de l’absolu.



 La vie du Bouddha


Siddhârta Gautama (Ve siècle av. J.-C.) était un Bouddha, un sage. Avant d’être sage, il était prince. Il ne connaissait rien de la vie en dehors du palais. Il décida de sortir, de laisser sa famille. Il rencontra un vieillard et sut qu’il fallait vieillir, que c’était ça la vie. Il rencontra un malade et sut qu’il fallait tomber malade, que c’était ça la vie. Il croisa un cortège funèbre et sut qu’il fallait mourir, que c’était ça la vie. La vie n’était que souffrance. Ce n’est qu’en s’éloignant de la vie, en se cachant dans un palais comme il l’avait été, qu’on s’éloignait de la souffrance. Il rencontra enfin un moine et le moine avait le visage apaisé. Il décida de devenir moine. Il devint ascète. Il donna son argent et ses vêtements à un pauvre. Il partit méditer dans la forêt. Après plusieurs années de méditation, il comprit qu’il ne servait à rien de méditer, on ne faisait que contempler le vide.

Siddhârta chercha plutôt à comprendre et compris après une longue réflexion sur soi-même l’origine de la souffrance : le monde était une illusion, une maya. Il comprit que le désir nous attachait au monde et que le désir était cause de la souffrance. Il comprit également que le monde et le désir étaient liés, parce que le désir poussait à l’acte et que la maya était la conséquence de l’acte. Le monde est une prison de causalité, avait-il découvert. On ne s’évade pas du monde en produisant un acte, quel qu’il soit. Il faut briser la chaîne des causes-conséquences, ce que le bouddhisme appelle les interdépendances. Il faut pour cela arracher leur racine qui est le désir. Le désir n’est pas une nécessité. Parce qu’il n’est pas une nécessité, c’est une illusion. Le bouddhisme consiste à libérer l’homme en lui réduisant les nécessités à des apparences. L’âme humaine n’est pas condamnée à vivre dans la maya.

Moines ! il y a cinq faits qui doivent être considérés par tout homme et toute femme, qu’ils soient laïcs ou religieux. Quels sont ces cinq ?

  • Je suis sûr de devenir vieux, je ne peux éviter de prendre de l’âge.
  • Je suis sûr de devenir malade, je ne peux éviter totalement la maladie.
  • Je suis sûr de mourir, je ne peux éviter la mort.
  • Tout ce qui m’est cher et que j’aime est sujet au changement et je ne peux éviter d’en être séparé.
  • Je suis maître de mes propres actes (karma), hériter de mes propres actes ; les actes sont la matrice dont je suis issu, les actes sont comme ma peau, les actes sont comme ma protection ; quoique je fasse, j’en serai l’hériter [1].

Etrangement, les Grecs avaient fait le même constat sur la vie. Pour eux, les maladies, la vieillesse et puis la mort étaient des signes de Zeus. Ils signifiaient qu’il fallait se préparer à ce qui suivait la mort (un jugement ? une soumission à Zeus ?). Tant que l’homme n’avait pas compris, ces signes se poursuivaient et s’aggravaient. Mais les hommes ne comprenaient jamais. L’histoire elle-même a commencé par un âge d’or ; elle devait se terminer par un âge de fer. Le destin chez les Grecs était une force comparable à l’entropie en physique : c’était une loi contre laquelle les dieux mêmes ne pouvaient pas lutter.

De même, pour le bouddhisme, les dieux font partie de la maya, ils dépendent de sa loi (dharma). Mais le Bouddha n’avait pas choisi d’obéir à la loi, il s’était révolté contre le monde entier. Sa révolte avait commencé par une prise de conscience. Elle correspondit à une réelle compréhension du monde. Pour le bouddhisme, la conscience et le monde sont liés, comme un visage et son reflet dans l’eau.



 La souffrance et le dharma


En présence de la souffrance, quatre attitudes sont possibles ; elles peuvent être brièvement décrites comme suit :

1 - La négation, contre toute évidence, de l’existence de la souffrance ;

2 - La résignation passive, l’acceptation d’un état de choses que l’on considère comme inéluctable ;

3 - Le "camouflage" de la souffrance à l’aide de sophismes pompeux, ou bien en lui prêtant, gratuitement, des vertus et des buts transcendants que l’on juge propres à lui conférer de la noblesse ou à en diminuer l’amertume ;

4 - La lutte contre la souffrance, accompagné de la foi en la possibilité de la vaincre.

C’est cette quatrième attitude que le Bouddhisme préconise [2].

Pour être délivré de la souffrance, il faut prendre connaissance des quatre racines de la Loi (dharma) [3] :

  • Toutes les composés sont des impermanents : tout ce qui est constitué de plusieurs éléments est condamné à changer
  • Tous les composée sont souffrances : le changement entraîne la décrépitude [4]
  • Tous les phénomènes sont sans soi : la conscience ne se trouve dans aucun des éléments dans lesquels elle s’implique ("être charcutier", "être à l’auteur de…", "être coupable de…", "être la femme de…", "être le père de…") et croit se reconnaître "je suis gourmand", "je suis intelligent", "je suis beau", "je suis malheureux", "je suis riche"…) [5]
  • La destruction (de tous les liens), c’est le Nirvâna : le Nirvâna n’est ni un paradis, ni une extase, c’est une absence d’illusio

Cette connaissance du dharma permet de prendre connaissance de la véritable nature du désir. Le désir est un voile sur le savoir. La seule chose à savoir est que la conscience existe ("je pense donc je suis", disait Descartes). La conscience n’existe évidemment que du point de vue de l’homme dans la maya. Parvenu au Nirvâna, le sujet de la conscience - ce que nous appelons "je" - n’existe peut-être plus, comme les autres objets de la maya. Le sujet est peut-être un non-sujet. C’est ce que le bouddhisme appelle l’illusion de l’ego.



 Les principes du bouddhisme


Alexandra David-Néel, grande exploratrice du Tibet, a classé comme suit les doctrines du bouddhisme, que nous reprenons par souci pratique [6].

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1°) La souffrance

Elle peut être résumée en deux points :

1° Etre en contact avec ce pour quoi on éprouve de l’aversion 2° Etre séparé de ce pour quoi on éprouve de l’attraction, ou, en d’autres termes, ne pas posséder ce que l’on désire


2°) Cause de la souffrance

C’est l’ignorance, base des onze autres anneaux de la chaîne des productions interdépendantes.

Les douze anneaux peuvent être rangés sous trois titres :

L’ignorance.

Le désir engendré par l’ignorance.

L’action qui suit le désir, comme moyen de le satisfaire.

Par effet des sensations éprouvées en accomplissant l’action, de nouveaux désirs naissent.

a) Désir d’éprouver de nouveau les mêmes sensations, si l’action a causé des sensations agréables.

b) Désir d’éviter ces mêmes sensations, si l’action a causé des sensations désagréables.

Ce nouveau désir incite à l’accomplissement de nouvelles actions, soit pour amener les sensations souhaitées, soit pour prévenir la répétition des sensations désagréables.

Ces actions, à leur tour, produisent des sensations qui, comme précédemment, font naître des désirs, et l’enchaînement des actions, des sensations et des désirs, déterminant de nouvelles actions, se poursuivit à l’infini, tant que l’ignorance subsiste [7].


3°) Cessation de la souffrance

C’est la destruction de l’ignorance qui produit la destruction du désir.

Le désir cessant d’exister, l’incitation à l’action ne se produit plus. L’action n’ayant plus lieu, les sensations résultant de son accomplissement ne se produisent plus et les désirs, dont ces sensations sont la source, ne naissent pas.

La cause ayant cessé d’exister, la révolution de la chaîne des productions interdépendantes cesse.


4°) La voie qui conduit à la cessation de la souffrance

Elle consiste en un programme d’entraînement mental pouvant être résumé comme suit :

Acquisition des Vues justes.

Celles-ci comprennent une compréhension parfaite des trois caractères généraux et des quatre vérités :

1. La souffrance : l’ impermanence de tous les agrégats

2. La cause : la souffrance inhérente à tous les agrégats

3. La cessation : l’absence d’ego en tous les agrégats [8].

La voie qui conduit à cette cessation (la 4e vérité) est la suivante.

Ayant acquis des vues justes, l’on connaît la nature réelle des objets composant le monde extérieur et la propre nature réelle de soi-même. Possédant cette connaissance, l’on cesse de désirer ce qui est producteur de souffrance et de repousser ce qui est producteur de bonheur.

L’on pratique une Moralité éclairée, au plus haut sens de ce terme [9]. Celle-ci ne consiste pas en une obéissance passive à un code imposé par un Dieu ou par un autre Pouvoir extérieur. Ayant parfaitement reconnu, soi-même, quels sont les actes qu’il est bon d’accomplir et quels sont ceux dont il faut s’abstenir pour son plus grand bien et pour celui des autres êtres, l’on conforme sa conduite à la connaissance que l’on a acquise à ce sujet.



 Les Moyens d’acquérir des Vues justes sont :


  • L’Attention parfaite qui comprend l’étude - l’analyse des perceptions, des sensations, des états de conscience, de toutes les opérations de l’esprit et de l’activité physique qui y correspond - l’observation - la réflexion.
  • La Méditation parfaite comprenant la concentration d’esprit, un entraînement physique et psychique visant à produire le calme du corps et de l’esprit, à développer l’acuité des sens (l’esprit comptant comme sixième sens) et à causer l’éveil de nouveaux sens procurant de nouvelles perceptions et permettant, ainsi, d’étendre le champ de ses investigations.



 L’existence ou le devenir


L’existence est un perpétuel devenir, pour le bouddhiste. Existence et devenir sont synonymes. Plus précisément, l’existence ou bhâva est la forme du mouvement, une continuelle apparition de phénomènes se succédant [10].

Le Bouddha parle ainsi de l’existence à un disciple (rapporté par Mahâ Nidâna Sutta) [11] :

  • J’ai dit que la naissance dépendait de l’existence. Ceci doit être compris de la façon suivante : suppose, Ananda, qu’il n’y ait absolument aucune existence pour personne, et d’aucune façon ; ni existence dans le monde du désir, ni existence dans le monde de la pure forme, ni existence dans le monde sans forme [12] ; s’il n’y avait, nulle part, aucune existence, l’existence ayant entièrement cessé, la naissance se produirait-elle ? (Y aura-t-il naissance ?)
  • Non, vénérable.
  • Ainsi, l’existence est-elle la cause, l’occasion, l’origine de la naissance, la naissance dépend d’elle.

Avec l’existence (devenir), nous sommes arrivés au second article de l’énumération des origines interdépendantes. Celle-ci continue comme suit :

Qu’est-ce qui doit exister pour qu’il y ait "devenir" ? - L’action de saisir, d’attirer à soi.

Qu’est-ce qui doit exister pour que cette préhension ait lieu ? - La "soif" (désir).

Qu’est-ce qui doit exister pour que cette "soif" se produise ? - La sensation.

Qu’est-ce qui doit exister pour qu’il y ait sensation ? - Le contact.

Qu’est-ce qui doit exister pour qu’il y ait contact ? - Les sens et leurs objets.

Ces sens sont au nombre de six pour les Bouddhistes qui comptent l’esprit pour un sixième sens dont l’objet est les idées [13].

Qu’est-ce qui doit exister pour que les sens existent ? - Le corps matériel et l’esprit.

Qu’est-ce qui doit exister pour que le corps et l’esprit (le domaine de la forme matérielle et celui du mental) existent ? - La conscience-connaissance.

Le terme vijnâna est d’une traduction difficile ; il s’agit, ici, de la faculté d’être conscient (…).

Qu’est-ce qui doit exister pour que cette conscience-connaissance existe ? - Les formations ou confections mentales (volitions, actions mentales en général).

Qu’est-ce qui doit exister pour que ces formations mentales existent ? - L’ignorance.

En étant arrivé là, le Bouddha, nous disent les Ecritures canoniques, passa ce processus en revue, en sens inverse [14] :

L’ignorance n’existant pas - les formations mentales n’existent pas.

Les formations mentales n’existant pas - la conscience-connaissance n’existe pas.

La conscience-connaissance n’existant pas - la forme matérielle et l’esprit n’existent pas.

La forme matérielle et l’esprit n’existant pas - le contact n’existe pas (n’a pas lieu).

Le contact n’existant pas - le sensation n’existe pas (ne se produit pas).

La sensation n’existant pas - la soif (le désir) n’existe pas (ne se produit pas).

La soif (désir) n’existant pas - la préhension (l’action de saisir, d’attirer à soi) n’existe pas.

La préhension n’existant pas - l’existence (devenir) n’existe pas (ne se produit pas).

L’existence (devenir) n’existant pas - la vieillesse, la mort, la maladie, la douleur n’existent pas (ne se produisent pas).

Ainsi cesse toute cette masse de souffrance.

Présentée de cette manière, cette énumération paraît avoir pour seul but de nous apprendre le moyen de ne pas renaître et d’éviter, ainsi, les maux inhérents à toute vie et la mort inéluctable qui la termine. Telle est en effet, la façon dont le pratîtyasamûtpâda est généralement compris par les Bouddhas théravadins.



 Note sur le suicide


A noter que le suicide n’est pas une voie de délivrance, parce que la mort est un recommencement. Comme les Hindouistes, les Bouddhistes croient à la réincarnation selon la loi du karma. La souffrance d’une nouvelle vie paraîtra d’autant plus injuste qu’on en aura oublié les causes (dans la vie précédente). Seuls les Bouddhas peuvent décider de rester dans ce monde et choisir leur corps pour continuer à aider les hommes à se délivrer. C’est la version orientale du mythe de la caverne de Platon.



 Les différents bouddhismes


Le bouddhisme est constituée de nombreuses écoles, que l’on peut réduire à un cinq corps de doctrines :

1. Le bouddhisme Hinayâna, "petit véhicule", "moindre véhicule" ou "bouddhisme inférieur", est également connu sous le nom d’école philosophique des Théravadins. Le terme de "véhicule" désigne un corps de doctrines et de pratiques. Le terme de "moindre" ou de "petit" leur a été attribué par les écoles concurrentes et en particulier par celle du "grand véhicule". Les Théravadins se présentent comme les prêtres ou les ascètes du bouddhisme. Interprétant les paroles du Bouddha d’une manière abstraite, ils pensent que seule la méditation permet la délivrance ; elle n’est donc pas réservée au peuple qui pourra "seulement" améliorer son karma (éventuellement se délivrer après la mort).

2. Le bouddhisme Mahâyâna, le bouddhisme du "grand véhicule" s’est tourné vers l’aspect pratique de la doctrine. Il n’est pas nécessaire de devenir prêtre pour la pratiquer. Le bouddhisme du "grand véhicule" est donc un bouddhisme du peuple. L’aspect cultuel est particulièrement développé (bénédictions, moulins à prière…). Il enseigne que la délivrance ne dépend pas d’une série d’efforts, mais d’un état d’esprit, qui peut être acquis à n’importe qui, à n’importe quel moment, quel que soit son activité, à condition d’avoir un karma suffisamment positif. Particulièrement répandu, le bouddhisme Mahâyâna a porté l’image du bouddhisme a l’étranger

3. Le bouddhisme Madhyamyka ou "voie du milieu" vient après la scission entre le bouddhisme Hinayâna et Mahâyâna. Les bouddhistes Madhyamyka pensent que ces deux voies de vérité sont des extrêmes à cause de la vérité même qu’elles prétendent enseigner. Ces bouddhistes pensent en effet qu’il est impossible de nier ou d’affirmer la vérité. Ils ne veulent pas oublier la réalité brute, qui est la seule chose à laquelle on puisse attribuer un critère de vérité. Or, la réalité n’a pas besoin d’être niée ou infirmée. Les bouddhistes Madhyamyka se méfient des pensées parce qu’elles sont fluctuantes, ils pratiquent donc des rites très précis, définitivement fixés, censés rappelés à celui qui veut méditer combien le monde est stable et cohérent. Oublier la cohérence de la maya, ce serait ça l’illusion [15].

4. Le bouddhisme Yogaçâkya [16] est un idéalisme. Il professe l’irréalité totale de la maya. Pour les bouddhistes Yogaçâkya, les cinq sens sont justifiés par l’intellect (la conscience, le sixième sens), car l’intellect fait la distinction entre les cinq sens. En réalité, abstraction faite de l’intellect, il n’existerait donc qu’un sens. Pour eux, la totalité de la réalité se trouve en dehors de l’ego, en dehors du Moi. Seule cette totalité peut être considérée comme réelle.

5. Le bouddhisme Chan est le bouddhisme indien (après un détour par la Chine). C’est un bouddhisme poétique, mi-philosophique, mi-religieux, où les rites tiennent plus de place que les pensées. Les croyants et les prêtres sont sélectionnés et nivelés selon la lignée à laquelle ils appartiennent, avant leur compétence, alors que les autres sectes du bouddhisme privilégie le respect des rites à l’hérédité. Cette "noblesse religieuse" rappelle évidemment le système de castes des Hindous, où les prêtres, les Brahmanes, tiennent la place la plus élevée.

6. Le bouddhisme tibétain, aujourd’hui le plus connu en Occident, est un bouddhisme issu de Chine qui a remplacé la religion originelle du Tibétain, la religion Bön. Cette religion animiste et magique a cependant continué d’être pratiquée par les petites gens, elle a fini par influencer et par fusionner avec le bouddhisme, lui donnant ainsi une teinte régionale et "folklorique". On peut supposer, comme c’est souvent le cas, que le bouddhisme s’est imposé dans cette région à la faveur d’une décrépitude ou d’une simple faiblesse de la religion indigène. L’arrivée du bouddhisme a permis une renaissance de la religion Bön sous une forme nouvelle. C’est la raison pour laquelle ce syncrétisme est particulièrement cohérent [17].



 Comment les mayas peuvent devenir la Maya


Comment peut-on passer d’une pluralité de réalité à une unique réalité qui les transcende ? Comment cette unique réalité peut-elle être de même nature que n’importe quelle autre réalité sans pourtant s’y confondre ? Comment enfin chaque réalité peut-elle contenir une part de la Réalité ? Si on considère la Maya comme l’unique Réalité, toutes les autres mayas ne sont pas réelles. En tant qu’illusion, elles n’existent pas. Comment donc peuvent-elles exister sans faire partie de la Maya ? Et si elles en font partie, pourquoi seraient-elles des illusions ?

Les bouddhistes pensent qu’il est possible de passer d’une maya à la Maya, de l’illusion au nirvâna. Cela est possible parce que n’aurions pas autrement l’idée de l’illusion et du nirvâna. Cela est possible parce que les Bouddhas l’ont prouvé. Cela est possible parce que le cycle des naissances et des morts (samsâra) est une illusion, c’est-à-dire qu’il n’existe pas.



 Comparaison entre le cycle du samsâra et le mouvement circulaire expliqué par Aristote


Le cycle du samsâra peut être représenté selon un cercle changeant à chaque génération, autrement dit une spirale. La spirale prend modèle sur le cercle et le cercle prend modèle sur le point centrale. Aristote avait également réfléchi sur cette forme dans la nature (la saisons, les orbites planétaires, le mouvement des étoiles, le temps…) et il considérait que cette forme (forma) pouvait être infinie et suffire à expliquer le mouvement du monde et le passage du temps [18].

Mais puisque "maintenant" est la fin et le début d’un temps, mais pas du même (il est fin du temps passé et commencement du temps futur), il se trouvera que comme le cercle a dans la même figure, d’une certaine manière, le convexe et le concave, de la même manière aussi le temps est toujours au début et à la fin. Et c’est pour cela qu’on est d’avis qu’il est toujours autre. En effet, le "maintenant" n’est pas commencement et fin du même temps, car les contraires existeraient ensemble sous le même rapport. Le temps ne manquera jamais ; en effet il est toujours en train de commencer [19].

Ainsi, la totalité de l’existence n’est jamais entière ni dans le passé ni dans le futur. L’Age d’Or ne peut donc pas avoir existé, il ne peut être que mythologique. Inversement, l’apocalypse chrétien ou l’utopie marxiste ne peuvent pas finir le temps, le compléter en entier : ils se situent au-delà du temps, dans un futur symbolique, dans une mythologie de l’histoire. Le nirvâna ne succombe pas pareillement au temps parce qu’il n’est pas défini de manière temporelle par les bouddhistes : le temps, en effet, est une illusion. C’est la condition pour que le nirvâna soit un possible ; sans quoi, l’homme et l’humanité seront à jamais prisonniers du samsâra.

Et encore concernant le cercle, la sphère et d’une manière générale tout ce qui se meut sur soi-même, on peut objecter qu’elles se trouveront être en repos. Car elles seront dans le même lieu pendant un certain temps, elles-mêmes et leurs parties, de sorte qu’elles seront en repos en même temps qu’elles seront en mouvement [20].

L’explication circulaire ne suffit pas. Le mouvement du monde reste un mouvement, c’est-à-dire qu’il ne cesse pas, à chaque moment de ce mouvement, de changer, autrement dit de n’être pas quelque chose qui serait sans mouvement. N’étant pas ce quelque chose, il n’est pas la totalité des choses, il ne se suffit donc pas à lui-même. Aristote en déduit que la totalité se trouve en-deçà du mouvement en l’accompagnant toujours, comme le pivot central d’une roue.

Or, assurément, le premier moteur meut d’un mouvement éternel pendant un temps infini. Il est donc manifeste que n’ayant aucune grandeur il est indivisible et sans parties [21]

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Ce premier moteur se confond avec la totalité de l’univers. L’Un est le Tout, il est la fois la cause originelle, la première cause, et la cause de tout ce qui est causal : il s’agit du principe de la causalité elle-même. En tant que principe et que totalité, il devrait se suffire à lui-même et n’exister pour lui-même. Il pourrait être comparé à l’ensemble de l’univers considéré comme un tout : intérieure, l’univers se meut, mais extérieurement, il reste identique à lui-même. Tout se transforme mais rien ne se perd. Cette totalité qui doit rester à elle-même devrait être un principe suffisant et nécessaire. Pourtant, elle sert également de principe à l’univers, ce qui comprend le temps, le mouvement et le samsâra.

Pour les bouddhistes, le principe est unique et ne peut servir de principes à deux choses différentes (sans quoi il faudrait encore une cause à cette nécessité), ce qui signifie que le principe de la causalité n’est pas un principe en soi mais seulement une interprétation du principe depuis le samsâra. La causalité serait une illusion au même titre que le mouvement circulaire : il ne pourrait pas exister sans le principe, mais en même temps, il ne permet rien d’apprendre sur lui. La dépendance est en sens unique.

Cela signifie également que le nîrvana n’est pas causale. Si les bouddhistes pensent que notre karma comptabilise nos bonnes et nos mauvaises actions, c’est uniquement parce que le samsâra permet également de gérer l’évolution ou la régression des individus. Mais un individu totalement libéré est au-delà du bien et du mal, il n’entre plus dans les critères du samsâra, il n’a plus à être libéré.



 Le bien et le mal font partie du samsâra


Le fait que le samsâra gère le bien comme le mal est à souligner, car cela signifie que les bonnes choses de se monde sont aussi illusoires que les mauvaises choses, même si les premières semblent conduire vers la libération. C’est la manière pour le cycle du samsâra de récupérer à lui les éléments qui veulent sortir, comme dans un tourbillon : en croyant s’approcher du cercle, on s’en éloigne en réalité. Le samsâra peut donc prendre l’illusion du sens pour les individus bénéficiant d’un karma positif. Au niveau de leur vie, c’est-à-dire de leur maya, c’est individus seront chanceux, ils trouveront un sens à leur vie et seront heureux : ils ne chercheront pas à se libérer plus, à faire mieux qu’ils ne font déjà, ils croiront avoir atteint le nîrvana : mais ce ne sera que son reflet.

Inversement, le nîrvana peut s’exprimer de manière acausale et de manière inconditionnelle au travers d’événements que l’on pourrait juger miraculeux, arbitraires, surnaturels, injustes ou illogiques : par exemple l’élection de tel ou tel enfant pour la réincarnation dans grand maître tibétain. Les bouddhistes (mahâyanistes) prétendent qu’il est possible à n’importe qui, à n’importe quel moment de sa vie, quel que soit son occupation du moment, d’avoir une sorte de prise de conscience, d’aperçu du nîrvana, de révélation en forme de "grand moment de libération". Ce moment peut parfois se traduire par le rire. Il ne doit pas être expliquer de manière causale, sans quoi il revêt une forme éphémère et joue le joue du samsâra.

A ce titre, on pourrait considérer l’expérience du channeling, le contact avec des êtres surnaturels, comme une manifestation du nîrvana (sans doute aléatoire ?), déformée par le samsâra. Dans ce cas, ce n’est pas temps l’information qui est communiquée par ces êtres qui est important (car elle s’intégrera à la maya de l’individu) que la communication elle-même. Dans l’idéal, il ne faudrait pas considérer ces contacts comme des choses extérieures à soi, mais les introvertir, sentir dans ces paroles l’occasion d’une ouverture.



 Le devenir à soi ou le retour à l’autre


Ici, il pourrait encore y avoir confusion : ouverture d’esprit ne veut pas dire croyance. Les bouddhistes ne croient pas. Ils n’ont pas de dieux immortels, juste des dieux personnels. Ils ne croient pas aux paroles du Bouddha, ils comprennent ces paroles et les testent dans leur expérience personnelle. Certains bouddhistes considèrent parfois le bouddha comme une idole, ils ont tord, bien que cela puisse leur être utile pour un temps : ils devront en effet finir par incorporer toute l’essence du bouddha à leur être, ils devront lui ressembler et finir par devenir lui. Ce devenir autre est en réalité un retour à soi, un retour au principe et un abandon de tout ce qui appartient à la maya (sa vie, son corps mais aussi sa personnalité).

Ce devenir ou ce retour - selon qu’on se situe à la fin ou aux origines - est l’équivalent d’une doctrine judéo-chrétienne majeure : l’imitatio Dei [22]. On trouve cette recommandation par exemple dans le Pentateuque, où Dieu ordonne à l’homme d’être saint, car je suis saint, moi, l’Eternel votre Dieu (Lévitique, 19, 2) et de marcher dans toutes ses voies (Deutéronome, 11, 22 ; 28, 9). D’une certaine façon, on pourra considérer chacun des personnages de la Bible comme un figure de l’Eternel, un modèle de comportement pour sa maya, de la même manière que les tous personnages d’un livre ont tous quelque chose de l’auteur, puisqu’ils proviennent de lui : il n’est pas tel ou tel personnage dans l’histoire, il est l’histoire elle-même.

Au sommet, on pourra imaginer l’homme imitant l’homme, imitant tous les hommes, comme le décrivait Kierkegaard (décrivant le chevalier de la foi), imitant le samsâra lui-même. Il dépasserait ainsi le bien, le mal, et trouverait peut-être une nouvelle valeur. Les rabbins, les prêtres et les soufis l’appelleront Dieu, les bouddhistes l’appelleront nirvâna. Cette réalité doit être conçue comme une qualité de l’homme qui l’atteint. Elle ne peut plus être extérieure, elle ne peut être déterminée par autre chose que ce qui est vraiment l’homme. Ce faisant, l’homme n’est certes pas lui-même : ce qui restera de lui, s’il en reste encore quelque chose (le sujet ?), ne pourra pas se fondre dans ce principe unique. Il aura donc l’impression, comme le décrivent certains textes scolastiques, en partant depuis Saint Augustin, qu’il est à la fois en Dieu et en dehors de lui.

Il ne pourra pas toucher sa face sans mourir signifie qu’il ne pourra pas se fondre en Dieu tant qu’il le considérera comme une personne, dans un rapport de personne à personne, tant qu’il sera encore quelqu’un, un ego. C’est pour cette raison que le bouddhisme tend à transformer la conception qu’a l’homme de lui-même. Le bouddhisme n’a pas besoins de préceptes, de jugement moraux : il laisse l’homme découvrir par lui-même la futilité de défendre quelque chose qui n’existe que dans sa défense, de rechercher quelque chose qui n’existe que dans sa recherche, de craindre quelque chose qui n’existe que dans sa crainte, de désirer quelque chose qui n’existe que dans son désir.

Cette projection est une forme de personnification. Elle peut parfois devenir autonome (quand on y croit trop). On nomme cette autonomie du monde le samsâra. Alexandra David-Néel, la spécialiste du Tibet, a pu faire l’expérience de cette autonomie en s’essayant une pratique "magique" du bouddhisme tibétain : elle se concentra pendant plusieurs mois sur un visage qu’elle avait déjà vu, afin de créer l’individu à partir de la maya (c’est-à-dire à partir de rien d’autre que son propre esprit). Elle raconte comment elle y est parvenue, comment son "hallucination" est devenue visible à d’autres personnes, comment elle le commandait et comment il a commencé à devenir méchant, à devenir autonome. Elle a été obligée de s’enfuir et de passer des mois encore (autant que pour le créer) à le faire disparaître [23].

Les Babyloniens pensaient que l’homme avait été l’esclave des Dieux. La mythologie orphique raconte comment les hommes ont été créés à partir des Titans réduits en cendre par Zeus [24]. Par qui l’homme a-t-il été créé ? Et à partir de quelle image ? La Bible raconte que l’homme a été créé à l’image de Dieu mais Adam a été chassé du paradis pour être devenu conscient de sa nudité (de sa non-existence). Ces histoires ne sont peut-être que des mythes, et les mythes de jolies histoires, mais elles donnent à réfléchir, au moins sur les causes qui poussent les hommes à inventer les mythes, et surtout sur les causes qui poussent mille fois plus d’hommes à y croire.

Au minimum, l’idée de samsâra permet d’envisager la condition humaine sous un nouvel aspect, comme l’idée de maya permet d’envisager la nature du monde sous un nouvel aspect. Si l’idée de samsâra est exacte, cela signifie que la maya est le support de cette répétition et de cette variation. C’est toujours le même drame originel qui se joue : l’homme est créé à sa naissance, il se rebelle (parfois) à l’adolescence puis il est détruit en mourant, pour renaître une autre fois…



 La réincarnation et l’oubli


Pourquoi ne nous souvenons-nous pas de nos vies antérieures ? Parce que ce n’étaient pas nous, mais des comme-nous, des personnalités construites sur le même modèle que le nôtre, d’autres corps où notre âme a pu "s’incarner" [25] et s’illusionner tout autant. Tel corps, telle personnalité n’est pas plus vraie parce qu’il ou elle est plus ancienne. Il faut autre chose pour que le passage du temps pour créer de la valeur, sans quoi cela signifierait que l’individu se dégrade au cours de ses réincarnations. Or, s’il se dégrade, pourquoi aurait-il cet avantage de se souvenir de son ancienne incarnation ? A moins que cette vie passée soit une nouvelle illusion ? A moins que la réincarnation ne soit que la répétition sans fin d’une vie originaire et presque mythologique, une vie qui se serait déroulée dans ce que les aborigènes appellent « le temps des rêves » ?

Imaginer une vie antérieure, n’est-ce pas semblable à un rêve éveillé, où mon « moi » incarne un autre corps, avec une autre personnalité ? On pourrait reprendre les termes de Freud à propos du rêve et remplacer le mot « rêve » par celui de « maya » :

Les souvenirs de la maya que nous étudions sont tout d’abord mutilés par l’infidélité de notre mémoire, qui paraît tout à fait incapable de conserver la maya, et en laisse perdre peut-être précisément les éléments les plus intéressants. [26].

Nous ne nous souvenons pas de nos vies antérieures pour éviter que nous ne comprenions le fonctionnement du samsâra. C’est la seule raison pour laquelle la maya limite notre mémoire à une mémoire individuelle et épisodique, alors même que cette mémoire permet également de nous ancrer dans un passé, de nous éloignement d’une contemplation de la conscience. Il existe donc un équilibre, une cohérence, entre la maya et la conscience à ce propos : l’homme dans la maya doit se souvenir suffisamment pour que la maya ne soit pas incohérente, de telle manière qu’il considérera les éventuelles incohérences comme des défauts de sa mémoire, mais il ne doit pas se souvenir assez pour dépasser la création de l’ego : une autre vie, le passé d’autrui, entendre ce que pensent les gens, se souvenir du futur, etc.

La faiblesse de la mémoire individuelle permet à l’imagination de combler les "trous" éventuels. La maya profite de ces incohérences pour une élaboration secondaire, en faisant intervenir des gens, des livres, tout une culture propre à nous enseigner ce qui a été (sans que la maya se soit donné la peine de nous le faire vivre).



 Le statut de la mémoire


Le philosophe anglais John Locke (17e siècle) définissait l’identité de la personne comme une identité de conscience à travers le temps [27]. C’est au travers de ses souvenirs (souvenirs de ses pensées, de ses actions) que l’individu est en contact avec sa propre personne. Certains en déduisent la continuité de l’âme au travers le temps, et à partir delà, la possibilité d’une âme immortelle. Ce raisonnement ne serait pas possible sans la mémoire. Notre âme n’est-elle donc rien d’autre que notre mémoire ?

David Hume, un autre philosophe anglais (18e siecle) explique cette illusion du moi à la manière d’un moine bouddhiste :

Si nous n’avions pas de mémoire, nous n’aurions jamais eu la moindre notion de la cause, ni par conséquent de cette chaîne de causes et d’effets qui constitue notre moi ou notre personne [28].



 La danse de l’ego


Pour le bouddhisme mahâyaniste, l’homme ou l’esprit s’est laissé emporter par son propre mouvement, par sa contemplation. Il est comme un danseur grisé par la vitesse qui verrait le décor tourbillonner, qui s’imaginerait être le centre, l’auteur, et qui pourtant serait emporté : il ne pourrait plus s’arrêter de tourner, de danser.

Ce faisant, le principe de réalité de la psychanalyse serait en réalité le principe de néant, de la non-existence et du non-sujet de chaque chose. Il n’y aurait pas d’objet car il n’y aurait aucune chose dont l’homme pourrait se croire vraiment et définitivement le sujet, l’auteur ou le créateur. Il ne serait en réalité qu’un esprit sans accroche, un fantôme dont la réalité ferait de notre monde une "réalité fantomatique".

De ce point de vue, le monde serait la danse et le désir de continuer à danser, projeté dans la Nécessité, que Freud nomme ananké, en référence à la mythologie grecque. Le monde c’est le lieu et l’aspect que prend cette nécessité, ce destin. Tel est la loi inéluctable de la nature, l’ananké à laquelle nul ne peut se soustraire [29]. Pour Freud, il s’agit là de la pulsion du désir, plus précisément de la forme que prend son accomplissement, l’éloignement de la réalité, la continuation de la danse, du tourbillon ou du cycle…

Les Grecs disaient que les dieux mêmes s’inclinaient devant cette nécessité, que celle-ci précédait les dieux, qu’elle était l’essence du monde, le synonyme de la nature : sa force. Les bouddhistes faisaient d’ailleurs des dieux des hommes proches de la libération (du nirvâna) mais si proches qu’ils se croyaient déjà libres, qu’ils se croyaient véritablement des dieux. Ce sont eux, dès lors, qui perpétuaient l’illusion, qui la maintenaient en place, par leur danse en forme d’ouragan. Le plus élevé de ces dieux, dans la mythologie bouddhiste, est un dieu orgueilleux dont la fonction (croit-il) est de maintenir la maya en place et donc de s’opposer à l’éveil des hommes. L’ananké serait semblable à la soma des Hindouistes, à l’élixir du sommeil, où tout devient beau, où tout devient bon.

Chez les Grecs, Hypnos refusait ainsi un ordre d’Héra :

Zeus, fils de Cronos, je ne le puis, ni approcher ni endormir (…). Une fois déjà obéir à ton ordre m’a servi de leçon (…). J’endormis l’esprit de Zeus (…). Zeus s’éveillant s’indignait (…) et avant tout autre, c’était moi qu’il cherchait. Il m’eut alors jeté du haut de l’éther (…) au fond de la mer, si Nuit ne m’eut sauvé, Nuit qui dompte les dieux aussi bien que les hommes. Dans ma fuite, j’étais vers elle, et Zeus s’arrêta [30].

Le sommeil, explique Homère dans l’Iliade, dompte les dieux aussi bien que les hommes : les dieux sont comme des hommes pour le sommeil, pour la Nuit, pour l’illusion que ne fait qu’utiliser Hypnos. Or, dans la cosmologie grecque, la Nuit est créatrice du monde, elle permet de le faire sortie du chaos primordial, ce qui, en réalité, n’est chaos que du point de vue de l’ordonnancement du monde. L’ordre créé serait en réalité un voile jeté sur les yeux des hommes (le voile de Kali). L’harmonie qui serait l’expression de l’ordre, ce que nous appelons beauté, serait la sensation d’un ordre idéal. Paradoxalement, elle serait à la fois le signe d’un éloignement du chaos (de la réalité, de l’éveil) et le signe de l’endroit d’où on s’éloigne, de la véritable nature de cet éloignement [31].

Il faudrait ici se méfier du beau ou du bon, qu’il soit donné ou qu’il soit en récompense de nos efforts. Freud décrivait ainsi le processus d’auto-illusion ou d’auto-hypnose, dans lequel la difficulté, ou nécessité, participe du plaisir personnel, puisqu’elle "prouve" que ce dernier est "réel", qu’il est extérieur, objectif, bref : qu’il existe en soi. Ce plaisir, il peut s’acquérir par la construction de sa vie, par la lecture d’un roman ou par la contemplation d’une image. Le point commun tient dans la cohérence des éléments, dans leur harmonie, dans la solidité de leur structure. Le maximum de plaisir est atteint dans le risque, quand on parvient à transformer une masse chaotique, une possibilité de chances, un univers anarchique et étrange en univers connu et apprivoisé, en réussite unique, en structure cohérente. Comme l’avait compris Hannah Arendt [32], l’homme transforme le monde à tout niveau : matériel, conceptuel, existentiel… L’idéal pour l’homme, pour l’individu homme, serait de transformer le monde à son image, d’être milliardaire, d’être le maître du monde…

En acquérant une plus grande maîtrise de soi, de son environnement, l’homme individu s’apprivoise et apprivoise le monde, les gens avec qui il vit. Il subordonne sa vie à sa volonté. De fait, il ne s’interroge pas sur l’origine de la volonté, à savoir ce qu’il veut vraiment. Son problème est avant tout de réaliser ses rêves. Il ne sait pas pourquoi il veut et ne comprend pas cette question : il a admis qu’il n’était qu’une volonté, qu’une pensée, qu’une action, qu’un loisir, qu’un plaisir. L’homme croit toujours qu’il est libre - surtout quand il ne l’est pas.

On peut supposer que cette bouffée de jouissance se manifeste à divers niveaux. D’abord, puisqu’une barrière a été franchie, dans la simple joie retrouvée de pouvoir fantasmer librement ; ce serait le plaisir ludique même, retrouvailles avec l’indépendance de l’enfance ou soumission au règne des processus primaires, en tant que ces royaumes sont administrés par le principe de non-liaison : royaumes d’anarchie, en somme. Il y a le pouvoir retrouvé de jouer avec le non-sens, la levée pour un temps de l’obligation de compter avec les processus secondaires qui gèrent le principe de réalité. Endiguer l’énergie, isoler les affects, enchaîner logiquement les représentations, contourner les obstacles de l’impossible, calculer en fonction du temps, maintenir debout les remparts du refoulement, cela coûte de la peine, si bien que l’accès au territoire du libre jeu se traduit par une épargne (où l’on retrouve le mot d’esprit). Ajoutons que les investissements affectifs sont moins cataclysmiques que dans le symptôme, moins intenses que dans le jeu enfantin, paradoxalement renforcés de ce qu’ils fonctionnent au bon régime ou à la bonne distance, de ce qu’ils sont réglés, régularisés par une satisfaction narcissique reconnue par le surmoi - instance chargée de représenter dans l’inconscient les impératifs de la réalité aussi bien que les interdits parentaux ("tu ne jouiras pas à la place du parent de sexe identique au tien", etc.), et là on retrouve la théorie de l’humour comme épargne d’une dépense affective. >> [33].

Freud place ce plaisir ludique dans un processus, dans une sorte de compromis avec le principe de réalité, qui n’est pas un compris de l’action (au nom de son efficacité) mais un compromis de la conscience (pour préserver son l’ego). Ce plaisir est celui de la sublimation, celui de pouvoir subordonner l’anarchie à ma volonté, celui de pouvoir créer, inventer, innover, celui de pouvoir me rendre maître de la nécessité par l’inutile, le futile, l’exubérant. La folie est une sorte de sublimation.

Une œuvre d’art consiste avant tout en la création de beauté, d’une harmonie constituée selon sa sensibilité, d’un ordre correspondant à un consensus. Si les mots "art" et "artisanat" ont une origine commune, c’est à cause de ceci que la cohérence détermine à la fois l’harmonie et l’ordre. C’est dans la cohérence que se trouve la beauté artificielle créée par sublimation.

C’est de cela que Nietzsche nous disait de nous méfier. La beauté n’est jamais innocente : elle acquiesce à ce qui la rend belle, la conscience du beau tout d’abord, le monde ou la maya ensuite…

Qu’est-ce que le « beau » ? - une sensation de plaisir qui nous cache dans son phénomène les véritables intentions de la volonté. Mais par quoi la sensation de plaisir est-elle excitée ? Objectivement : le beau est un sourire de la nature, une surabondance de force et de sentiment de plaisir de l’existence : qu’on pense aux plantes. C’est le corps de jeune fille du Sphinx. Le but du beau est de séduire en faveur de l’existence. Mais qu’est proprement le sourire, cette séduction ? Négativement : la dissimulation de la détresse, l’effacement de toutes rides et le regard serein de l’âme de la chose. (…) Le plus mauvais morceau de musique peut encore être trouvé beau en comparaison de hurlements repoussants, tandis qu’on le trouvera laid par rapport à d’autres morceaux de musique. Il en va de même pour la beauté de la plante, etc. Il faut que se rencontrent le besoin de nier la détresse et l’apparence d’une telle négation. (…) La véritable question est : comment cela est-il possible ? Avec la terrible nature de la volonté ? Seulement par une représentation, subjectivement : par un mirage interposé, qui reflète la réussite de la vorace volonté du monde ; le beau est un rêve heureux sur le visage d’un être dont les traits sourient à présent, pleins d’espoir. (…) Le but de la nature dans ce beau sourire de ses phénomènes est de séduire d’autres individualités en faveur de l’existence. La plante est le monde de la beauté de l’animal, le monde entier celui de l’homme, le génie est le monde de beauté de la volonté originaire elle-même. Les créations de l’art sont la fin suprême du plaisir pour la volonté [34].

Pour l’homme, la plus grande beauté, le plus grand objet de plaisir qu’il trouve est l’ego, le moi freudien, la "personne", l’individualité, l’implication dans ce monde : soi-même. Mais ce qu’il est, ce qui existe, la réalité, il ne peut la supporter. Il est donc obligé, par nécessité, de créer, de s’inventer une personnalité, un rôle, une vie, un modèle, un maître, un dieu. C’est par nécessité (ananké) qu’il tend à se libérer de ce qu’il est. L’invention de sa personnalité est la plus grand œuvre de la libération ou de sublimation : on pourrait l’appeler transcendance.

Nous ne critiquons par l’existence de la conscience [35], mais nous critiquons toute définition de la conscience qui puisse être donnée par rapport à soi, à son vécu ou par rapport au monde. S’arrêter à ce que nous croyons être, ce serait s’arrêter à une croyance.

La psychanalyse et le bouddhisme nous ont permis d’expliquer comment fonctionner cette croyance, mais nous ne savons toujours pas au nom de quoi elle fonctionne. Pourquoi fonctionne-t-elle ? A cause de la libido ? Qu’est-ce que la libido ? Quand a-t-elle commencé ? A-t-elle jamais commencé ? Pour le bouddhiste, le temps n’existe pas, il est illusion. En réalité, il n’y a jamais eu d’erreur, de libido, de souffrance. Il n’y a jamais eu de maya.



 La question sans réponse


Malgré toutes les analyses psychologiques et métaphysiques que peuvent apporter le bouddhisme, il existe une question à laquelle le Bouddha a refusé de répondre : pourquoi ? Pourquoi le monde est-il ainsi fait qu’il doit être une illusion et que nous ayons un effort à faire à nous libérer ? Pourquoi cette imperfection, la possibilité de cette imperfection ? Ne durerait-elle qu’une seconde, pourquoi cette seconde ? En d’autres circonstances, nous demanderions : pourquoi vivre, s’il faut mourir un jour ? Ici l’on demande : pourquoi souffrir, si le but n’est de plus souffrir ? Comment l’illusion est-elle seulement imaginable ? Comment peut-elle nous tromper ?

Le Bouddha avait répondu qu’une pareille question n’était pas vraiment une question. C’était une question absurde. Quand on a une flèche plantée dans un œil, disait-il, on ne se demande d’où vient la flèche, on l’enlève. De même, se poser de pareilles questions – pourquoi ? - ne représente pas d’utilité ou de réalité, pour le bouddhiste. Les bonnes questions sont les questions utiles, et les questions utiles sont les questions qui appellent des réponses efficaces. Savoir pourquoi ne changerait rien à sa situation. Ce genre de questions fait partie de l’illusion, car elles détournent de l’essentiel qui est la libération de la souffrance.

Nous pouvons cependant nous demander, avec notre sagesse d’Occidentaux, si l’importance existentielle que recèle cette question, Pourquoi ?, n’est révèle pas justement une caractéristique innée de l’esprit humain qui est de se poser ce genre de question. Serait-ce une illusion, une déformation du Comment ?, elle révélerait encore une faiblesse inhérente à l’esprit humain. Dans cette faiblesse se trouve peut-être un manque, l’origine du désir. Cette question n’avait pas de réponse au présent, pour le Bouddha, mais cela ne signifiait pas que cette question n’avait pas non plus de réponse une fois arrivé dans le Nirvâna. Le Pourquoi ? garde peut-être toute sa valeur, même si elle n’est pas aujourd’hui accessible.

Nous pouvons également nous demander si cette réponse du Bouddha n’était pas une déformation de la maya, parce qu’elle aurait été justement la plus importante, ou si le Bouddha, en tant qu’homme, ne pouvait pas s’être trompé. Le Pourquoi ? est peut-être la voie de certains hommes. C’est peut-être la voie des Occidentaux. Il faut en effet se rappeler les limitations inhérentes aux particularités de chaque peuple. Il ne serait pas vraisemblable qu’un seul peuple détienne toutes les réponses des questions que tous les peuples se posent.

L’histoire de toute civilisation montre seulement les voies que prennent les hommes pour lier leurs désirs insatisfaits dans les conditions d’accomplissement et de refus que dicte la réalité, conditions elles-mêmes soumises à des changements et à des modifications de par le progrès technique [36].

Le bouddhisme ferait-il exception parce qu’il aura été fondé par un homme libéré des contraintes du commun, il n’en reste pas moins qu’il est resté dans la maya pour enseigner. Même s’il a bien prononcé ce qu’il voulait prononcer, il devait s’adapter aux oreilles des disciples, car ceux-ci, n’étant pas éveillés, n’entendaient pas ce qu’ils étaient, ils n’en entendaient que l’écho, la déformation apportée par la langue - par la maya. Même les paroles les plus claires peuvent être sujettes à interprétation. Il y aura toujours des gens qui ne comprendront pas. L’époque et les traditions évoluant, certains termes, qui avaient une résonance particulière, voient leur sens se déformer, changer de valeur… la déformation augmente encore dans une autre langue, dans une autre culture… Il n’est donc pas raisonnable de se tourner vers le bouddhisme comme s’il s’agissait du même bouddhisme pour tous. Le bouddhisme du Chinois n’est pas le même bouddhisme que pour le Tibétain, le Japonais, l’Américain ou le Français. Il n’existe aucun absolu à l’intérieur de la maya.

Il n’est donc pas possible d’affirmer avec le Bouddha que la question du Pourquoi ? n’a pas de sens. Il faut tenir compte de notre époque, de notre culture et de notre psychologie pour se reposer la question, car ces influences spatio-temporelles ne sont pas nécessairement des déformations : il peut s’agir, simplement, d’un changement de point de vue, d’un nouveau système de valeurs, d’une autre façon d’agir. Reconnaître l’influence de la société sur ses croyances et ses valeurs permet de prendre du recul sur sa propre culture [37]. Ce n’est qu’à partir de cette reconnaissance que l’on sera prêt pour comprendre une culture différente de la nôtre ou pour changer les valeurs de la société où l’on vit. La méthode consiste, dans le premier cas, à comprendre et à interpréter, dans l’autre cas, à observer et à agir. Une voie pour le philosophe et une voie pour l’homme d’action. Une voie pour l’Oriental et une voie pour l’Occidental. Nous schématisons, bien-sûr : il existe beaucoup d’Occidentaux qui ont un tempérament d’Oriental…



[1] Selon un discours conservé dans l’Anguttâra-Nikâya pâli (V, 57). Voir Paroles du Bouddha tirées de la tradition primitive, traduction du chinois par Jean Eracle, chap. I, Editions du seuil, Points, Sagesses, Inédit, 1991, p. 9.

[2] Voir Alexandra DAVID-NEEL, Le Bouddhisme du Bouddha, Editions du Rocher, 1977, 1989, pp. 48-49.

[3] Paroles du Bouddha tirées de la tradition primitive, traduction du chinois par Jean Eracle, chap. I, Editions du seuil, Points, Sagesses, Inédit, 1991, p. 23.

[4] Selon la définition d’Alexandra David-Néel (Le Bouddhisme du Bouddha, Préface, Editions du Rocher, 1977, 1989, p. 8) : La décrépitude est l’acheminement naturel vers la mort ; elle atteint, inéluctablement, tout ce qui a commencé et qui, par conséquent, doit finir.

[5] La conscience n’est pas véritablement dans la maya. La conscience est et le dans correspond à la maya. Car la maya n’est rien (pour la conscience).

[6] Alexandra DAVID-NEEL, Le Bouddhisme du Bouddha, chap. III, Editions du Rocher, 1977, 1989, pp. 50-51.

[7] Freud avait analysé de la même manière la cause de la maladie, les fausses motivations du malade : << La pensée n’est qu’un chemin détourné, qui va du souvenir de la satisfaction, pris comme représentation-but, à l’investissement identique de ce même souvenir, investissement qui sera atteint par le moyen de l’expérience motrice. >> (L’interprétation des rêves, 1929, chap. VII, V, PUF, 1967, p. 512).

[8] L’ego n’existant dans aucun des agrégats, l’ego est une illusion, une construction éphémère participant de la souffrance. Il est difficile de déterminer si l’ego ne concerne que la personnalité et l’orgueil, ou si elle s’étend aussi au sujet même.

[9] Le bouddhisme prône la non-violence, par exemple, parce que la violence est due à un désir de nuire ou un désir de se venger - à une forme d’orgueil donc. Le bouddhisme prône également de manière positive la préservation de la vie, sous toutes ses formes (humaines et animales) : parce que chaque être vivant contient une âme, à un stade différent de l’évolution et donc de la connaissance, et que la mort implique un oubli et donc l’ignorance. Les hommes ne sont pas les créatures les plus évoluées. Il existe également des dieux, dont la connaissance est si grande qu’ils sont remplis d’orgueil. L’homme, cependant, n’est pas obligé de passer par le stade du divin pour atteindre la délivrance. Le Bouddha en est la preuve vivante.

[10] Alexandra DAVID-NEEL, Le Bouddhisme du Bouddha, chap. IV, Editions du Rocher, 1977, 1989, p. 57.

[11] Alexandra DAVID-NEEL, Le Bouddhisme du Bouddha, chap. IV, Editions du Rocher, 1977, 1989, pp. 58-60.

[12] Les trois modes d’existences se réfèrent aux trois mondes ou genres d’existence des bouddhistes : Kâma lôka - rûpa lôka - arûpa lôka. Rapporté à notre pensée occidentale, le monde de la pure forme pourrait correspondre à notre univers mathématique ou géométrique, tandis que le monde sans forme pourrait correspondre au monde des symboles, des archétypes, au monde des dieux. Le monde du désir serait notre monde.

[13] Pour les bouddhistes, les idées et les images apparaissent à la conscience. Nous appelons sujet ce qu’ils appellent conscience et nous appelons conscience ce qu’ils appellent esprit ou conscience-connaissance. Freud avait également imaginé la conscience comme un sixième sens : << Elle n’est qu’un organe des sens qui permet de percevoir les qualités psychiques. >> (L’interprétation des rêves, 1929, chap. VII, VI, PUF, 1967, p. 522.)

[14] Il y a un parallèle frappant avec cette énumération systématique (finissant par une vérification) et les "Règles pour la direction de l’esprit", V, VI et VII, du Premier Discours de la méthode de Descartes. Si la philosophie s’appuie sur la raison et si la raison se distingue par la méthode qu’elle se donne, alors le bouddhisme du Bouddha est également une philosophie. Le caractère religieux du bouddhisme viendrait peut-être du fait qu’il s’agit d’une philosophie de la religion.

[15] Lire, par exemple, NAGARJUNA, Le Traité du milieu, Editions du Seuil, 1995.

[16] On désigne également le Bouddha sous le nom de Câkyamuni, ce qui signifie le sage des Câkya. Le nom de Cakya correspond au nom de la tribu dont Gautama était le prince.

[17] Voir par exemple notre article sur l’initiation de « Tcheud » chez les Tibétains

[18] Voir ARISTOTE, Physique, chap. VIII, 8, 261b27, GF Flammarion, trad. Pierre Pellegrin, Paris, 2000, , p. 427 : Qu’il puisse exister un mouvement infini qui soit un et continu, et que ce soit le mouvement circulaire, disons-le maintenant.

[19] ARISTOTE, Physique, Chap IV, 13, 222a39 à 222b7, trad. Pierre Pellegrin, GF Flammarion, Paris, 2000, p265.

[20] ARISTOTE, Physique, chap. VI, 9, 240a29-39, trad. Pierre Pellegrin, GF Flammarion, Paris, 2000, p. 349.

[21] ARISTOTE, op. cit., chap. VIII, 10, 267b24-25, p. 439.

[22] Voir à ce sujet les développements du Sotah (14a) du traité Avot (3, 14), les textes des kabbalistes du XVIe siècle, les écrits hassidiques plus récents et ceux du mouvement Mousar. Plus particulièrement, le penseur contemporain Martin Büber a écrit (dans Israël et le monde) : Le fait qu’il nous a été révélé que nous avons été créé à Son image nous incite à "développer" cette image et ainsi à imiter Dieu. Il renoue de fait avec une tradition rabbinique ancienne que nous avons reformulée de manière philosophique.

[23] Voir Alexandra DAVID-NEEL, Mystiques et magiciens du Tibet, Plon, Pocket, 1929, 1980. Elle raconte également comment les moins tibétains initient certains de leurs disciples, en les accrochant la nuit à un arbre et en leur disant qu’il va venir. En réalité, ils n’affrontent que leur propre peur. Parfois, leurs peurs sont si fortes qu’elles se "matérialisent" en un esprit qui peut les battre ou les griffer. D’autres sont simplement retrouvés morts de peur. Quand le créateur meurt, les moins disent que la création continue parfois à vivre, comme si elle était réelle. D’autres explorateurs ont rapporté avoir vu des scènes touchant également à la nature de la réalité si des chamans de divers origine : certains seraient capables de faire apparaître ou disparaître des arbres entiers, d’autres seraient capables de capacité surhumaines… Ces capacités ne sont évidemment pas des buts en soi, même si certains s’y sont peut-être arrêtés, ce ne sont que les signes que la personne se trouve sur la bonne voie. Ces exploits sont faciles à imaginer mais difficile à croire. Pourquoi ?

[24] Plus précisément, les Titans ont voulu se rebeller contre leur créateur, menés par Dyonisos, fils de Zeus, comme Zeus s’était rebellé contre son propre père Chronos. Dyonisos et les Titans sont foudroyés. Les hommes naissent de leurs centres (comme dans les mythes aztèques). Ils ont donc en eux une partie mauvaise, animale et brutale, héritée des Titans, et une partie divine, une "étincelle divine", héritée de Dyonisos. Cette bipolarité de l’homme est extrêmement répandue dans les mythes. Elle instaure à la fois un déchirement dans l’homme et la possibilité d’un choix. Elle implique donc une dialectique, éventuellement un chemin initiatique menant jusqu’à ce choix. Les origines de l’humanité marqueraient donc le sort de chaque humain. Autrement dit, le samsâra trouverait son origine, non dans la nature du monde, mais dans la nature de l’homme.

[25] ou prendre conscience

[26] Sigmund FREUD, L’interprétation des rêves, 1929, chap. VII, I, PUF, 1967, p. 436.

[27] Voir John LOCKE, Human Understanding, 1. II, chap. 27, sections IX, X, 1690.

[28] David HUME, Treatise of Human Nature, 1. I, part. 4, section VI, 1748.

[29] Sigmund FREUD, "Au-delà du principe de plaisir" in Essais de psychanalyse, Payot, 1978, p. 51.

[30] HOMERE, Iliade, Chant XIV, vers. 245-260.

[31] Autrement dit, l’ordre serait semblable à la chaleur qui endort et le chaos à la blessure du froid qui réveille. Il serait cependant inutile de s’enfoncer dans des grottes humides sans la lumière d’une torche, car on n’y sentirait rien d’autre que l’absence de chaleur, car on n’y verrait rien et on mourrait.

[32] Voir Hannah ARENDT, La condition de l’homme moderne, 1958.

[33] Voir Sigmund FREUD, Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’Ics, appendice, 1905, nrf Gallimard, 1930, 1969.

[34] Friedrich NIETZSCHE, "Fragments posthumes" in La naissance de la tragédie, U I 2 b, Fin 1870 - Avril 1871, 7 [27], 1872, Gallimard, 1977, pp. 186-187

[35] de ce rapport au monde que nous appelons "conscience" (cf. Heidegger et Merleau-Ponty)

[36] Sigmund FREUD, Das Interesse an der Psychoanalyse, Gesammelte Werke, vol. VIII, p. 415.

[37] De la même façon, étudier l’histoire, c’est étudier un enchaînement de causes et de conséquences, la naissance et la mort des royaumes, des religions, des mouvements artistiques et littéraires… Cela permet de relativiser notre position dans le temps et dans l’espace et de saper le terreau sur lequel se forment certains sentiments, comme le nationalisme et le racisme.


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Commentaires

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samedi 19 janvier 2013 à 11h54 - par  ianop

Le "nirvana" n’est pas seulement une absence d’illusion, et le paradis est tout sauf un objet. Désirer en soi n’est pas mauvais, tout dépend ce qu’on désire. Désirer le pouvoir, la réussite sociale, la célébrité, la performance amoureuse, la jeunesse éternelle, c’est clair, tout cela est nul. Mais ne pas désirer, c’est tout aussi nul.

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