Le Rigveda et la question de la vitesse de la lumière
25 octobre 2025 — syagrius
Cet article explore un passage célèbre du Rigveda et son commentaire tardif par Sayana.
Il interroge l’idée souvent avancée selon laquelle les textes védiques auraient évoqué,
dès l’Antiquité, la vitesse de la lumière.
Le Rigveda est l’un des textes les plus anciens de l’humanité.
Un commentaire du XIVe siècle, attribué à Sayana, mentionne que le Soleil parcourt
2 202 yojanas en une demi-nimesha — une donnée dont l’interprétation numérique conduit étonnamment
à une valeur proche de celle de la vitesse de la lumière.

1. Introduction
Le Rigveda, composé entre -1500 et -1200 avant notre ère, est le plus ancien des quatre Vedas.
Transmis oralement pendant des siècles, il constitue un corpus fondamental de la pensée védique.
Il contient 1 028 hymnes répartis en dix mandalas, mêlant cosmologie, rituel et observation du monde.
Parmi eux, l’hymne 1.50, dédié à ’’Sūrya’’ (le Soleil), est au centre d’une controverse scientifique.
Un commentaire tardif de Sayana (XIVe siècle), premier ministre du roi Bukka Raya de Vijayanagara,
mentionne un déplacement du Soleil d’une rapidité telle qu’elle correspond presque à la vitesse de la lumière.
2. Le verset concerné
Le Rigveda 1.50.4 énonce :
Taranir viśvadarśato jyotiṣkr̥d asi sūrya, viśvam ā bhāsiro canam.
Traduction (Griffith, 1896) :
Traversant les cieux, toi qui vois tout, créateur de lumière, ô Soleil, tu illumines le monde entier.
Aucune mention chiffrée n’apparaît dans le texte ; le nombre 2 202 vient d’un commentaire tardif.
3. Le commentaire de Sayana
Dans le ’’Rigveda Bhāṣya’’, Sayana écrit :
tathā ca smaryate yojanānāṁ sahasre dve dve śate dve ca yojane eka-nimeṣārdhena kramamāṇaḥ.
Traduction :
Il est rappelé que le Soleil parcourt 2 202 yojanas en une demi-nimesha.
L’expression ’’tathā ca smaryate’’ signifie « il est dit dans la tradition », indiquant que Sayana cite
une source plus ancienne, aujourd’hui perdue.
Aucune version connue du ’’Sūrya Siddhānta’’ n’inclut ce chiffre, et le Rigveda n’en fait pas mention.
4. Les unités anciennes
Le ’’yojana’’ est une unité de distance variable, évaluée entre 13 et 15 km selon les sources.
Le ’’nimesha’’ signifie « clignement d’œil » et correspond, selon le ’’Mahābhārata’’ (Śānti Parva, Moksha Dharma), à :
15 nimesha = 1 kāṣṭhā ; 30 kāṣṭhā = 1 kalā ; 30 kalā = 1 muhūrta ; 30 muhūrta = 1 jour-nuit.
Ainsi, 1 jour = 405 000 nimesha → 1 nimesha ≈ 0,213 s → ½ nimesha ≈ 0,106 s.
5. Le calcul
2 202 yojanas × 13,6 km = 29 947 km.
Divisé par 0,106 s = 282 500 km/s.
La vitesse de la lumière moderne est de 299 792 km/s.
La différence est d’à peine 6 %, une proximité numériquement étonnante.
6. Interprétation
- Le commentaire parle du Soleil, pas de la lumière.
- Les valeurs de yojana et nimesha ne sont pas fixes.
- Sayana n’avait pas d’intention scientifique : il cite une tradition symbolique.
- Mais la coïncidence reste frappante.
7. Origine du nombre 2 202
Le chiffre provient uniquement du commentaire de Sayana (vers 1400), non du Rigveda.
Plusieurs hypothèses existent :
- Transmission d’un texte astronomique perdu : possible emprunt à un ouvrage antérieur.
- Symbolisme cosmologique : structure numérique (2×1000 + 200 + 2) représentant la totalité et la dualité.
- Interpolation : Sayana aurait simplement voulu illustrer la rapidité du Soleil.
Dans tous les cas, ce passage démontre l’existence d’une tradition de calcul et de mesure du mouvement céleste
dans la culture indienne, même si elle n’est pas empirique au sens moderne.
8. Analyse philologique et critiques
| Chercheur | Interprétation |
| ------------ | ---------------- |
| S. Kak (2003) | Passage authentique, d’intention symbolique. |
| B.V. Subbarayappa (2008) | Valeur traditionnelle, non physique. |
| G. Joseph (2011) | Coïncidence numérique mais anachronique. |
| H.H. Wilson (1850) | Commentaire poétique, non scientifique. |
Tous s’accordent sur le fait que le passage reflète la culture numérique et cosmologique de l’Inde ancienne,
non une mesure expérimentale.
9. Discussion critique
La mention de Sayana illustre la précision conceptuelle des traditions védiques :
elles cherchaient à ordonner le cosmos par des relations mathématiques et symboliques.
Même si la vitesse de la lumière n’était pas connue, le souci de proportion, de rythme et de cycle
témoigne d’une véritable pensée scientifique.
10. Conclusion
Le passage des 2 202 yojanas en une demi-nimesha ne prouve pas la connaissance de la vitesse de la lumière,
mais révèle la volonté d’unifier le monde naturel et le monde des nombres.
Le Rigveda et ses commentaires ont posé les bases d’une cosmologie rationnelle,
où observation, mesure et symbolisme se rejoignent.
Il ne s’agit pas d’un hasard isolé, mais d’un témoignage du génie conceptuel
des savants indiens cherchant, bien avant l’ère moderne, à exprimer le mouvement de la lumière du Soleil
à travers le langage du sacré et des nombres.
Image : représentation moderne d’Ada Lovelace sur fond algorithmique.
Sources principales :
Sayana, ’’Rigveda Bhāṣya’’ (éd. V.S. Apte, Poona, 1876).
Griffith, R.T.H. (1896). ’’The Hymns of the Rigveda’’.
Subbarayappa, B.V. (2008). ’’The Tradition of Astronomy in India’’.
Kak, S. (2003). ’’Speed of Light and Puranic Cosmology’’.
Joseph, G. (2011). ’’The Crest of the Peacock : Non-European Roots of Mathematics’’.
Monier-Williams, M. (1899). ’’Sanskrit–English Dictionary’’.
’’Mahābhārata’’, ’’Śānti Parva’’, Moksha Dharma.