70e immolation de Tibétains en deux ans

lundi 19 novembre 2012

Soixante-dixième immolation de Tibétains depuis 2009. D’autres sources donnent 62 ou 72 immolations.

La dernière date du lundi 16 novembre 2012 : un Tibétain de 24 ans s’immole dans la province du Qinghai en Chine et en meurt. La nouvelle a été annoncée par le gouvernement tibétain en exil dans le Nord de l’Inde. La Chine a en effet envahi le Tibet.

La première étape date de 1949, quand la Chine prétend "libérer" le Tibet. En 1951, l’Armée populaire de libération (APL) entre à Lhassa et impose ses conditions aux Tibétains. L’APL occupe le Tibet et réduit le pays à celui d’une province (et même de plusieurs provinces) : le gouvernement tibétain perd ses prérogatives concernant les affaires étrangères, la défense et le commerce. Le Tibet perd sa monnaie et son armée sera progressivement incorporée à l’APL.

Le gouvernement chinois étant communiste, la religion est perçue comme suspecte et dangereuse, l’armée entreprend de détruire les monastères tibétains.

En 1966, la "révolution culturelle" de Mao Zedong entraîne l’interdiction de la religion, considérée comme "opium du peuple" par les communistes. Les Tibétains se révoltent. Des milliers de moines et de nonnes sont torturés et mis à mort, des objets précieux en or sont fondus, de nombreux temples sont détruits, etc. Plus d’un million de Tibétains part en exil dans d’autres provinces chinoises, en Inde, etc.

En 1980, le secrétaire général du Parti communiste chinois (l’équivalent de notre Premier ministre) Hu Yaobang met en place plusieurs mesures "libérales" au Tibet, Hu Yaobang étant un dirigeant plutôt favorable à une transition du pays vers la démocratie. Après une visite du Tibet, il élargit l’autonomie du Tibet, retire des cadres chinois de la direction de la province, octroie des aides pour l’élevage et l’agriculture, diminue les impôts des Tibétains…

Il meurt le 15 avril 1989 et sa mort donne l’occasion pour les mouvements démocratiques de se montrer sur la place Tien’Anmen, avec les conséquences que l’on sait [1].

La liberté religieuse au Tibet est rétablie mais des fêtes religieuses sont régulièrement interdites. Le Tibet est progressivement colonisé par des Chinois, qui bénéficient d’avantages divers. Les femmes ne sont pourtant pas capables d’accoucher à de telles hauteurs et doivent redescendre du Plateau dans une province chinoise. Les manifestations continuent, malgré les arrestations, les tortures et les meurtres. Les Chinois profitent de leur domination pour entreposer leurs déchets nucléaires près du lac Qinghai, dans le district de Haiyan de la province du Quinhai (qui appartenait anciennement au Tibet).

En 2008, les Tibétains se révoltent de nouveau, quelques mois avant la tenue des Jeux Olympiques à Pékin. Notons que les médias français n’ont pas relayé ces manifestations.

Depuis 2009, on dénombre environ 70 immolations de moines Tibétains pour dénoncer la situation du Tibet auprès de l’opinion publique. Dans une photo publiée sur Tweeter la semaine précédente (le lundi 12 novembre 2012), on pouvait voir un moine tibétain brûler sous le regard d’autres tibétains : ils récitent en réalité des prières pour que l’âme du moine puisse passer dans de bonnes conditions dans l’au-delà et se réincarner… sans doute ailleurs qu’au Tibet [2].

Notons que l’ONU reconnaît le droit du peuple tibétain à l’autodétermination, dans sa Résolution 1723 datée de… 1961.

Les immolations n’ont pas seulement lieu au Tibet. Elles ont également lieu en France : une enquête menée par Anne Laffeter comptabilise une dizaine de tentatives ou d’immolations effectives depuis janvier 2012 [3].

Récemment, Hamza, 18 ans, a tenté de s’immoler dans un centre médico-social. Il avait atteint 18 ans et allait devoir quitter l’hôtel qui le logeait. Il allait se retrouver à la rue, sans travail, sans formation. Tassadit, 52 ans, s’est immolé dans une mairie. Elle était au RSA, elle demandait un meilleur logement du travail. Manuel, 42 ans, s’est immolé sur son lieu de travail, parce qu’il devait appliquer des objectifs irréalisables dans son service, non sans rappeler la série de suicides chez Orange et chez Renault ces dernières années.

Il existe un malaise dans notre société, un mal-vivre qui n’est pas sans lien avec la politique ultra-libérale, la crise économique, la disparation des liens sociaux traditionnels et le manque de perspective d’avenir. Plus qu’un malaise, l’immolation est un acte d’auto-destruction, symptôme d’une société malade.

Plus étrangement, un moine tibétain s’est immolé en France jeudi dernier, le 16 novembre 2011. Ce moine britannique de 38 ans s’est immolé dans le jardin du monastère de Nalanda à Labastide-Saint-Georges, dans le Tarn, près de Toulouse [4]. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’il ne s’est pas mis le feu en public et qu’on ne connaît pas le motif de son suicide. D’habitude, les personnes qui choisissent ce moyen pour mettre fin à leur vie cherchent à créer de l’émotion et à attirer l’attention de l’opinion publique sur un problème particulier. Leur suicide joue le rôle d’un argument définitif. Que cherchait à faire le moine en s’immolant ?

Cherchait-il simplement à disparaître dans la souffrance, à se purifier par le feu ? L’utilisation du feu n’est pas anodine, elle exprime une souffrance ou une colère : colère tournée contre soi dans le cas d’une suicide, colère tournée vers la société dans le cas des "voitures brûlées" dans de nombreuses villes, les voitures étant des biens symboliques du statut social.

Dans l’antiquité déjà, le feu était utilisé lors des holocaustes, des sacrifices où l’animal étant entièrement brûlé aux dieux chtoniens, les dieux de la Terre et des morts [5]. Ces sacrifices avaient lieu chez les Grecs, chez les Celtes et chez les Juifs, par exemple [6]. Ils se différenciaient des sacrifices adressés aux dieux de la Cité, où les parties comestibles de l’animal étaient redistribuées aux prêtres et au peuple. Le sacrifice par le feu est un sacrifice total, sans contrepartie pour l’homme. De même, l’immolation par le feu, l’incendie des voitures, des drapeaux ou des billets de banque sont utilisés en dehors de toutes les solutions proposées par la société. C’est l’absence d’alternative.

Il reste donc à la société d’inventer de nouvelles solutions pour éviter de nouveaux embrasements… [7]

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Ce monde est à nous, changeons-le !


[1] L’étudiant qui avançait face aux chars n’a pas utilisé le feu pour se faire entendre mais il a également risqué sa vie.

[2] Voir http://www.rue89.com/2012/11/12/tib…

[3] Voir "Regarde les hommes brûler" d’A. Laffeter, in Les Inrockuptibles n°885 du 14 au 20 novembre 2012, pp. 62-69.

[4] Voir http://www.metrofrance.com/info/un-…

[5] On parle dans ce cas de divinités "infernales", car ces dieux vivent sous la terre et s’occupent des morts.

[6] Les Juifs furent eux-mêmes brûlés durant la peste noire au moyen âge et l’on a surnommé "holocauste" le génocide des Juifs durant la Seconde guerre mondiale.

[7] En 1969, Jan Palach s’immole pour protester contre l’occupation soviétique en République tchèque ; en 2001, Mohamed Bouazizi s’immole et c’est toute la Tunisie qui s’enflamme ; d’autres suivront leur exemple en Egypte, en Algérie, en Mauritanie… Voir http://www.radio-canada.ca/nouvelle…




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