L’hérédité ne s’arrête pas à l’ADN

samedi 13 août 2011

On savait déjà l’importance des coutumes et des usages culturels dans la capacité de l’homme à survivre et à se reproduire (par exemple, la connaissance des plantes qui soignent et des champignons qu’il ne faut pas manger…).

Une équipe de chercheurs internationale vient de montrer que les connaissances acquises par les animaux et les insectes avaient également des conséquences sur leur reproduction. L’ADN n’est donc pas le seul élément à se reproduire, ce qui signifie que la reproduction n’a pas pour seul objectif la reproduction de l’ADN. L’évolution suit un chemin qui n’est pas celui donné par l’ADN. C’est à un nouveau paradigme qu’appellent les auteurs dans un article de la revue Nature Reviews Genetics [1].

Les exemples sont nombreux :

  • acquisition de préférences sexuelles chez les mouches en fonction de la couleur des mâles qui se reproduisent le plus (et ce après seulement trois observations du même type !)
  • apprentissage par imitation chez les cafards à fuir la lumière (contrairement à ce qu’on pensait, ce n’est pas inscrit dans leur ADN)
  • le chant des oiseaux (ou dialecte) se développent indépendamment de leur ADN et amène les oiseaux partageant la même langue ou le même chant à se se regrouper et à s’isoler des autres : après plusieurs générations, ces oiseaux finissent par se différencier des autres groupes et par former une nouvelle espèce (ce qu’on appelle la spéciation)

Chez l’homme comme dans les diverses espèces animales, les habitudes et les connaissances acquises jouent un rôle aussi important que le matériel génétique dans la reproduction des espèces et leur différenciation. Dès lors, il n’est plus possible de croire que les préférences sexuelles des individus est déterminée par la qualité du matériel génétique de leur conjoint. La théorie du "gène égoïste" de Richard Dawkins et Georges Williams ne tient plus (voir notre article sur Les théories de l’évolution).

D’autres auteurs renouvellent la conception du gène égoïste en attribuant la qualité de "gène" à nos idées, à nos "schémas culturels", à nos modes, à nos traditions, mais aussi aux histoires drôles, aux habitudes de travail, aux croyances, aux tics de langage et aux langues : toute forme culturelle aurait pour objectif de se reproduire de la même manière que nos gènes et se transmettre de génération en génération. Cetet théorie, appelée théorie des mèmes, a été proposée par l’éthologiste Richard Dawkins dans son livre sur The Selfish Gene en 1976 et développée par la psychologue Susan Blackmore dans son livre The Meme Machine. publié en 1999. Elle est également défendue par le philosophe Daniel C. Dennett (voir la bibliographie).

La théorie des mèmes devait répondre au problème de choix évolutifs contraire à la survie des gènes, par exemple celui du cerveau chez l’homo sapiens qui surconsomme de l’énergie. Selon cette théorie, il n’y aurait pas de libre arbitre, les idées et les croyances seraient au même niveau, les plus simples ou les plus efficaces se diffuseraient plus vite, selon le principe darwinien de la "survie du meilleur".

Cette théorie n’est pas vérifiée expérimentalement, c’est-à-dire que les auteurs ne savent pas comment expliquer les mèmes sont stockés dans le cerveau, comment ils évoluent et comment ils mutent. Cette théorie n’est d’ailleurs pas vérifiable, elle permet seulement aux éthologues et aux psychologues de décrire la transmission de certains comportements d’un individu à un autre, d’une génération à une autre. Les auteurs ont fait le choix de comparer leurs observations à celles des laboratoires, en essayant de réduire les sciences humaines à la génétique.

Si on suivait leur logique, l’évolution des mèmes serait indépendante de l’évolution des gènes. Or, les pratiques sociales génèrent des affinités et des inimités, crée des groupes et des familles, dans lesquels les individus se rencontrent, se marient et se reproduisent (pour faire simple). La religion, les tics de langage et nos goûts artistiques ont également une incidence sur nos préférences sexuelles. Les mèmes n’obéissent donc pas à une logique qui leur serait propre. Autant dire qu’ils n’existent pas.

Par ailleurs, si les mèmes avaient pour seul but de se reproduire, ils seraient insuffisants pour expliquer le sens d’une chanson, par exemple, dans son contexte social ou politique, par exemple. La théorie des mèmes ne remplacent ni la sociologie ni l’histoire.

En réalité, la théorie des mèmes n’intéresse que les seuls publicitaires qui y voient un reflet de leur pratique.

Si ni l’ADN ni les mèmes ne permettent d’expliquer l’évolution, si la "survie du meilleur" n’est pas l’objectif principal et si le système de "copie" ne suffit pas à expliquer les directions que prend l’évolution dans la différenciation des espèces, ne faut-il pas revoir le rôle de l’ADN dans l’évolution des espèces ? Si l’ADN n’était plus le commanditaire de l’évolution mais une simple cellule d’enregistrement ? La reproduction de l’ADN d’une génération à une autre serait donc semblable à la diffusion d’un chant d’oiseau : la répétition d’un code, d’une information, d’un marqueur génétique… L’ADN pourrait aussi être comparé à une boîte à outils utilisée par les espèces pour évoluer…

Une question ? Une remarque ? Vous pouvez débattre sur notre article Les théories de l’évolution.

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Le monde est étrange, vous ne trouvez pas ?


[1] Étienne Danchin, Anne Charmantier, Frances A. Champagne, Alex Mesoudi, Benoit Pujol & Simon Blanchet, Beyond DNA : integrating inclusive inheritance into an extended theory of evolution, Nature Reviews Genetics 12, 475-486 (July 2011). Voir http://www.nature.com/nrg/journal/v…




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